Staline
Aphrodite à
demi nue. Il y écrit : « Votre baiser que m’a transmis Pierrot est
enregistré. Je vous embrasse en retour, mais je ne vous embrasse pas
simplement, mais très for-te-ment (simplement embrasser ne vaut pas la peine).
Joseph [165] . »
L’invitation est transparente, mais l’élégante est plus réservée que l’accueillante
Kouzakova. Le flirt restera épistolaire. Lors de son départ, elle lui offre une
chaînette ornée d’une croix. Koba arrache la croix, et transforme la chaînette
en breloque à laquelle il suspend sa montre…
Les discussions littéraires, la bibliothèque et ce flirt ne
suffisent pas à remplir ses journées. Il collectionne les cartes postales
représentant des tableaux des grands peintres classiques, qu’il laissera à
Pauline lorsqu’il quittera la ville. Cette occupation monotone n’est qu’un pâle
dérivatif et l’inaction lui pèse. Le 6 septembre, le passeport de son ami
Tchijikov en poche, il prend le train pour Saint-Pétersbourg où il arrive le 7 septembre.
Le mouchard attaché à ses basques a déjà envoyé une note à la gendarmerie de la
capitale : « À 3 heures 45 le Caucasien est arrivé à la
gare avec ses affaires […] il est monté dans un wagon de troisième classe du
train de Saint-Pétersbourg [166] . »
Koba n’a pas de chance : deux jours plus tôt, à Kiev,
Morda Bagrov, un terroriste du Bund lié à la police, a abattu le Premier
ministre Stolypine. La police multiplie les rafles dans les milieux
révolutionnaires. Se méfiant des souricières, Koba erre par les rues dans l’espoir
de croiser un ami. Ce jour-là, il pleut. Trempé, il déambule des heures durant
et finit par rencontrer un militant, qui l’emmène dans un meublé. Koba tend son
passeport au nom de Piotr Tchijikov. Le gardien trouve suspect ce Russe à l’accent
géorgien prononcé, le dénonce et la police cueille Koba le soir du 10 septembre…
Après trois mois passés en prison, il est condamné à trois ans d’exil avec le
droit de choisir son lieu de résidence. Aux yeux de la police tsariste, il n’a
donc pas monté en grade. Il choisit Vologda, où il arrive le 25 décembre.
Hélas, l’élégante a quitté la ville cinq jours après lui, le 11 septembre,
et cette romance inachevée le restera. En 1917, elle épouse un ouvrier
mécanicien. Au début des années 1930, son père et son frère sont « dékoulakisés »,
c’est-à-dire expropriés et exilés en Sibérie. En 1937, le NKVD arrête son mari,
le relâche, l’arrête à nouveau en 1947 et le condamne à dix ans de prison en
tant qu’ennemi du peuple. Jamais alors elle ne s’adresse à Staline. Elle ne se
rappelle qu’une seule fois à son bon souvenir, peu après la guerre, quand les
autorités privent son garçon de bourse en tant que « fils d’ennemi du
peuple ». Elle lui écrit alors, et Staline, sans lui répondre, fait
restituer la bourse. À sa mort, la fille de Pelagueia éclatera en larmes, comme
ses camarades de travail. Elle le racontera à sa mère qui lui répondra : « Moi,
je n’ai pas pleuré [167] . »
Pelagueia mourra deux ans plus tard.
L’ascension de Koba commence en ce début de 1912. À la mi-février,
il reçoit à Vologda la visite de son ami Sergo Ordjonikidzé de retour de
Prague. Là, du 5 au 17 janvier, les bolcheviks réunis en conférence se
sont constitués en parti distinct. La conférence, en comité très restreint, a
rassemblé 14 délégués avec voix délibérative et 4 avec voix consultative
(dont Lénine). Un nouveau Comité central de 7 membres, entièrement
bolchevik, est élu, flanqué d’un bureau russe comprenant Koba et Ordjonikidzé.
Lénine, dit-on souvent, a proposé au Comité central d’élire Koba, mais celui-ci
a été battu. Il l’a néanmoins coopté dès la première réunion. Le procès-verbal
dément cette thèse. Lénine ne propose pas Koba ; il fait voter le droit
pour le Comité central de coopter de nouveaux membres à sa guise afin de
combler les vides laissés par les arrestations probables. Et il coopte Koba à
la première occasion.
Le nouvel élu ne saurait rester dans la morne Vologda, d’autant
que l’assassinat de Stolypine a ouvert une crise politique. Le 29 février 1912,
Koba part pour la capitale où il rencontre un autre nouveau membre du Comité
central, Roman Malinovsky. Koba apprécie cet ancien métallurgiste à la crinière
roussâtre, d’allure plébéienne mais portant
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