Stefan Zweig
1931, observant au cours de ses tournées de conférences, de Munich à Hambourg et Berlin, la progression du parti national-socialiste. Il a déjà compris, quand d’autres cultivent l’illusion, que le coup de force, s’il a lieu, se fera dans la légalité. Octobre 1931 : « Les nationaux-socialistes voient leurs sympathisants affluer en telle quantité qu’ils n’ont plus besoin de recourir à des mesures illégales. Ils espèrent obtenir à coups de bulletins de vote ce qui, il y a peu, ne semblait accessible qu’à coups de grenades. » Les événements lui donneront raison. Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devient chancelier non par la force mais appelé par le maréchal von Hindenburg. Voyant, ébahi, défiler sous ses fenêtres, en cette nuit d’hiver, une armée de supporters hurlant leurs slogans au feu des torches, celui-ci dira : « Ils sont plus nombreux que je ne le croyais. » Mais c’est trop tard.
Zweig, qui a vu venir la victoire des fascistes allemands, craint surtout ses répercussions sur l’Autriche. Elles ne vont pas tarder à justifier son pessimisme. Les décisions de Dollfuss ne lui semblent que des pis-aller. En mars 1933, pour qu’un semblable scénario ne se produise pas de ce côté-ci des Alpes, celui-ci suspend le régime parlementaire et crée un Etat chrétien, autoritaire et paternaliste. Au printemps, il interdit les organisations hitlériennes et, l’été, obtient de Mussolini, à Riccione, la garantie de l’indépendance de son pays. Zweig demeure inquiet. L’idée de l’exil est depuis longtemps en lui. Dès 1931, il a abordé pour lui-même la question d’un nouveau départ. A la recherche d’un contexte plus propice à son travail, donc à son bonheur, il pense pour la première fois à quitter l’Autriche et se demande où aller. L’interrogation revient sans cesse dans son journal. Il sent que le climat se détériore de jour en jour dans son pays et ne lui apportera rien de bon. Le soutien de Mussolini n’est pour l’Autriche qu’une fragile et provisoire protection, au-delà du Brenner. En Allemagne, ses amis écrivains, les Juifs et les libéraux, sont déjà partis pour la France ou pour l’Angleterre : dès 1933, les décrets de Hitler contre les Juifs et les libertés les ont incités à fuir. L’incertitude est tout l’avenir de l’Autriche. Jointe aux imbroglios de la diplomatie européenne – « cette technique du château de cartes qu’on appelle diplomatie » –, elle dissuade Zweig de les imiter.
« Tous les pays sont également impossibles, l’Europe ne sera de nouveau habitable que lorsqu’elle sera unie, offrira espace et liberté de mouvement. » Espérant un miracle auquel il ne croit guère, il préfère attendre que la situation évolue et le force à prendre une décision. Il est comme un homme qui, sur le quai de la gare, regarde, silencieux et immobile, les voyageurs monter dans le train, en se demandant s’il va les rejoindre et pour quelle destination. Paris, Rome, Moscou ?
1933
Année de sinistre mémoire, 1933 marque d’une pierre noire la carrière de Stefan Zweig.
Le film de Robert Siodmak, Brûlant secret , tiré de sa nouvelle, avec dans les rôles principaux Willy Forst et Hilde Wagener, attire un public nombreux dans les cinémas allemands, à grand renfort d’affiches : un homme élégant, aux cheveux noirs gominés, regarde dans les yeux une ravissante blonde en robe de dentelle, leurs mains sont enlacées. Mais cette histoire d’amour va prendre, à la lumière d’un événement imprévu, un sens particulier. Le 27 février 1933, un terrible incendie détruit, à Berlin, le Reichstag. La rumeur se répand rapidement que Hitler et ses sbires y ont mis le feu. L’outil et le symbole du régime parlementaire, sans que personne puisse protester, sont réduits en cendres. Dès le lendemain, les gens en passant devant les cinémas, ébauchent un sourire : ce « brûlant secret », ce film tiré de l’œuvre de Stefan Zweig, ne serait-il pas un clin d’œil moqueur envers l’auteur du mystérieux et inexplicable incendie ? Quelques jours plus tard, le parti communiste fait distribuer un tract qui porte ce titre accrocheur. Informé de cette coïncidence, Hitler ordonne de retirer le film des écrans dans tout le pays.
Autre ironie du sort : à la demande de Max Reinhardt, quelques mois à peine après la mort de Hofmannstahl qui a écrit plusieurs livrets
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