Stefan Zweig
écrit-il encore en français à Romain Rolland.
1 Payot, 1984.
2 Calmann-Lévy, 1939.
3 Stock, 1961.
Les hommes de nulle part
Zweig ne se soucie pas moins de ses amis. A Hallam Street, son appartement est devenu une sorte de bureau de bienfaisance. Il apporte personnellement une aide aux réfugiés qui s’adressent à lui, les recommandant à des amis, à des éditeurs, à des journalistes qu’il connaît à Londres, écrivant des mots d’introduction, d’appui et de soutien, et surtout, trouvant pour eux des adresses utiles. « J’aide de tous côtés, dira-t-il, bien que je ne sois pas capable de m’aider moi-même. »
Financièrement, il contribue à diverses caisses de secours aux réfugiés et adresse d’importants subsides à deux amis écrivains, en exil en France, Ernst Weiss – jusqu’à son suicide en 1940 – et Joseph Roth – jusqu’à sa mort tragique à l’hôpital Necker, en 1939. Pour les écrivains de langue allemande, privés de leurs droits d’auteur par suite de la fermeture des maisons d’édition qui publiaient leurs livres, ou par leur exclusion du catalogue, ainsi que par l’interdiction qui les frappe de collaborer aux revues et aux journaux allemands et autrichiens, la situation matérielle est des plus précaires. Certains gagnent encore quelque argent grâce aux éditions qui, à partir de 1933, se sont créées à l’étranger pour continuer de publier, dans leur langue originale, les œuvres d’écrivains allemands antifascistes. Ainsi à Amsterdam, un Hollandais d’origine judéo-portugaise, Emmanuel Querido, a-t-il confié à un ancien directeur des éditions Kiepenheuer de Berlin, Fritz Landshoff, le soin d’éditer, sous le label « Querido », Jakob Wassermann, Heinrich Mann, Klaus Mann, Ernst Toller, Lion Feuchtwanger, Arnold Zweig, Vicki Baum, Erich Maria Remarque, Emil Ludwig et Joseph Roth. Ce dernier se plaint toutefois de ne recevoir comme à-valoir sur la vente de ses livres qu’« à peine de quoi payer ses cigarettes ».
Un autre éditeur allemand, Walter Landhauer, lui aussi un ancien des éditions Kiepenheuer, dirige chez Allert de Lange, une célèbre maison d’édition hollandaise, un département de littérature allemande qui publie, également en langue originale, Brecht et Freud, Annette Kolb et René Schickele, Joseph Roth, Hermann Kesten (qui en est un des lecteurs) et Stefan Zweig, ainsi que des traductions en allemand de Cholem Asch. De Lange et Querido, comme Landshoff et Landhauer, ont entre eux des rapports de rivalité amicale, « expression dans laquelle il convient de faire porter l’accent davantage sur l’adjectif que sur le substantif », précise Klaus Mann. Le public qui peut lire ces ouvrages est évidemment restreint, depuis que l’Allemagne puis l’Autriche ont fermé leur marché à leurs plus grands écrivains.
Seuls ceux qui, comme Stefan Zweig, jouissent grâce à leurs traductions, leurs articles ou leurs conférences de revenus dans des pays étrangers, peuvent continuer de mener une vie décente ou confortable. Presque tous souffrent d’ennuis d’argent, de pauvreté sinon de réelle misère. Nombre d’entre eux, accourus à Paris dès 1933, fuient la capitale pour le midi de la France où le coût de l’existence est moindre. Une importante colonie allemande se partage entre Nice, où habitent notamment Heinrich Mann, René Schickele ou Annette Kolb, et Sanary-sur-Mer, une jolie plage sise entre Marseille et Toulon, où résident de manière plus ou moins stable ou provisoire Lion Feuchtwanger, la famille de Thomas Mann, Arnold Zweig, Franz Werfel, Roth et Brecht de temps à autre. Zweig s’y est rendu à deux ou trois reprises, pour y voir ses amis, et se replonger dans une atmosphère fraternelle, par nostalgie de ses racines. La littérature allemande, ayant plié bagage, a trouvé ce petit havre de paix méditerranéen où elle tente de survivre, matériellement mais aussi spirituellement, malgré les pièges et les humiliations de l’exil. Le ciel bleu et les mimosas n’offrent qu’une piètre consolation à leur drame. Presque tous cherchent un point d’ancrage et semblent voués à une instabilité existentielle qui reflète leur inquiétude et leur souffrance à s’adapter à un autre paysage, à une autre langue et d’autres coutumes. Roth se fait l’écho de ceux qui, comme lui, comme Zweig, partagent le même sentiment de « tituber dans le
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