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Stefan Zweig

Stefan Zweig

Titel: Stefan Zweig Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dominique Bona
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d’espionnage. La nouvelle le réconforte à peine. Lotte, en tant qu’épouse, peut devenir anglaise, une déclaration de nationalité suffit à la mettre à l’abri des dangers immédiats qui guettent les Juifs et les Allemands où qu’ils soient, et redoublent quand le Juif est en même temps un Allemand ou, par un cruel quiproquo, une sorte d’Allemand.
     
    Citoyen britannique, propriétaire d’une jolie maison à Bath, jouissant d’assez de revenus pour vivre confortablement, et sachant sa famille à l’abri, Stefan Zweig n’est nullement tranquille. Il se sent étranger, en butte à une agressivité ou du moins à une méfiance, qui tiennent à son accent, à ses origines, à son statut. L’accent, c’est celui de sa fidélité aux racines, cet accent allemand dont il ne se défera jamais en anglais, et dont il ne songe pas du reste à se défaire. C’est l’accent de ses parents, des maîtres de sa jeunesse, l’accent de ses amis, de ses amours, de ses rêves. Mais c’est, plus que tout, l’accent de ses livres : comment écrire dans une autre langue que la sienne sans perdre sa force et son identité ? Et puis pour qui écrire, quand les gens qui parlent la même langue n’ont plus le droit de vous lire ? Maintenant que vos concitoyens observent les traits de votre visage, et cherchent à vous classer en fonction de critères physiques qui tiennent lieu de passeport, comment échapper à l’origine ? Comme à une étoile jaune ? L’intelligence, le cœur, ces valeurs ont-elles encore cours ? Zweig ne revendique plus rien pour lui-même de ces vieilles qualités, désormais en péril, mais il assume mieux qu’autrefois la fatalité de sa naissance, peut-être de son destin. Quant au statut, bien sûr, la naturalisation anglaise est un atout considérable. Mais un chargé d’affaires a récemment prononcé un discours où il met en garde la population contre les risques à fréquenter les exilés allemands et autrichiens, quels qu’ils soient. Malgré son passeport anglais, Zweig est et demeure un étranger. Moralement, il se sent mis au ban de la société. « Je suis un individu à tenir à l’œil », dit-il. Selon les jours, il se compare à un paria, un pestiféré, au mieux à un outsider. Sentiment d’échec. Sentiment d’insécurité. Sentiment de marginalité. Son journal témoigne d’une profonde détresse.
     
    « Nous aurons à souffrir pendant et après la guerre, écrit-il le 27 mai 1940, a) en tant qu’Allemands de naissance, b) en tant que Juifs de naissance. Mais où aller pour fuir cette haine ? Partout elle nous guettera, partout elle nous traquera. » La xénophobie et l’antisémitisme lui gâchent chaque instant de cette vie qui pourrait être encore heureuse, si les hommes revenaient à la raison. Tout ce qu’il a toujours détesté, d’instinct, l’emporte : le fanatisme, la haine, la violence, l’exclusion, et l’enfermement triomphent. L’époque, il le voit bien, célèbre le retour des tyrans, des militaires, des Kapos et des ghettos. Même en Angleterre où la démocratie, le sang-froid, l’humour, l’esprit dominent encore les débats, le mal gronde en sourdine et il peut craindre l’explosion prochaine sinon d’un fascisme anglais – Mosley est en prison – au moins d’un racisme anglais, dont les quelques démonstrations d’hostilité dans le voisinage peuvent lui donner l’idée. « Avec le nom que je porte, impossible à prononcer pour les Anglais, j’en ai pour la durée de mon existence, la seule question est de savoir ce qu’on haïra le plus en vous, l’Allemand ou le Juif – quant à la haine, jetée sur vous comme une tunique de Nessus, elle est indiscutable. » Le climat nationaliste lui donne des cauchemars où il se voit chassé de chez lui, une nouvelle fois contraint de refaire ses bagages et de reprendre la route, en pèlerin qui ne va nulle part, Juif errant malgré lui, soumis à la malédiction. Comme les Juifs de son Chandelier enterré ou de Dans la neige , il souffre de la haine mais ne se révolte pas. Sa blessure est profonde, elle lui donne envie de mourir…
     
    Trois allusions précises au suicide figurent dans le journal de l’année 1940, parmi ses déclarations désabusées et amères. La première, à la date du 26 mai, exprime le désir de se procurer un flacon de morphine : « On en aura peut-être besoin », écrit-il. La seconde, deux jours plus tard, fait état d’un vœu

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