Stefan Zweig
et l’amitié, le charme si doux d’autrefois. De retour de la guerre, le héros, décoré de l’ordre prestigieux de Marie-Thérèse, dans un prologue que le traducteur français a supprimé, raconte son histoire à un narrateur fictif – le double de Stefan Zweig – qui en écrira le roman. Il y prononce ce mot, qui paraîtra familier, peut-être fraternel, aux lecteurs de l’auteur : « Le courage n’est rien d’autre que l’envers de la faiblesse ! »
En 1940, l’écrivain part, désespéré, le cœur plein de pitié pour le monde qu’il abandonne. Comme Hofmiller, torturé par le regret, incapable de se défaire du sentiment confus d’avoir commis une faute, il est un homme détruit, sous le brio de l’apparence. Le combat qu’il a mené, sa vie durant, en faveur des valeurs que son siècle renie, est perdu, il le sait. Il s’est battu contre des moulins à vent. Mais quoi qu’il fasse, quoiqu’il se défende encore de rendre toutes les armes, il se sent coupable. Aurait-il pu mieux faire ?
J’aime celui qui désire l’impossible.
Goethe,
Faust .
VII
Les adieux de Petropolis
Le voyageur sans bagages
Wohin ? Où, vers où aller ? Lancinante, la question occupe l’esprit de Zweig depuis de longs mois. « Autrefois écrivain, aujourd’hui expert en visas », ainsi résume-t-il la situation tragique à laquelle il lui faut désormais faire face, la dure condition de l’errant. Il déclare à Jules Romains, avec un humour forcé, que « le provisoire s’installe pour [lui] dans le définitif ». Après Bath, où le repos fut de courte durée, saura-t-il retrouver un port d’attache aimable, à l’abri des bombes et du racisme ? Il n’ose plus rêver d’un monde meilleur où vivre en paix, délivré de cette inquiétude qui colle à ses basques, et qu’il emporte avec lui à chaque nouveau départ.
A peine à New York, il sait qu’il ne s’y fixera pas : les Etats-Unis, malgré ses multiples démarches, ne lui ont accordé, ainsi qu’à son épouse, qu’un visa de transit. Il dépose ses bagages à l’hôtel Wyndham, le cœur serré en pensant à sa maison de Bath, où il a laissé ses derniers espoirs mais aussi des manuscrits inachevés, l’ébauche d’un roman et surtout un Balzac , œuvre capitale de sa vie. Plutôt que de s’apitoyer sur lui-même et de songer aux livres qu’il n’écrira plus, il se jette dans l’aide aux amis et aux relations, demeurés en Europe, que leur origine juive ou leurs idées libérales condamnent à se cacher, à fuir, à s’exiler. New York pullule de citoyens européens en exil, et toutes sortes de comités s’organisent pour leur apporter un soutien moral et surtout financier, les guider dans l’apprentissage des mœurs et des lois américaines. Ces comités de solidarité et de bienfaisance tentent également d’expatrier les familles ou leurs connaissances en danger sur le vieux continent. Zweig ne se ménage pas pour soutenir les Allemands et les Autrichiens, qui forment au sein de l’émigration une communauté à part, isolée et tenue à distance : leur langue les rend suspects à tous les autres. Les Français en particulier et les Américains eux-mêmes ne les entendent pas sans désagrément s’exprimer en « boche ». Aussi certains renoncent à le faire. Klaus Mann racontera ses déboires dans son livre de souvenirs, et la gêne qu’il éprouvait à voir les gens se retourner sur lui, dans les bars ou dans les restaurants, quand il discutait avec des amis dans la langue maternelle. La haine habitait les regards. Et cette haine qui entache les rapports humains, depuis la guerre, poursuit Zweig en Amérique ; il a le sentiment de ne plus pouvoir échapper au double sceau du malheur. Juif en Allemagne, Allemand aux Etats-Unis, il est de nouveau mis au ban. « Je ne veux plus être un outsider, une exception », écrit Klaus Mann dans son journal – en anglais ! Zweig est partout un étranger, dont la culture soulève l’antipathie du monde entier.
Wohin ? Où aller ?
De New York, il réussit à faire parvenir des subsides à Friderike qui, à force de se débattre, a fini par obtenir des visas pour l’Amérique, pour ses filles, ses gendres et elle-même. Elle doit quitter la France où leurs noms sont sur une liste noire, franchir à pied la frontière, et gagner Lisbonne où, munie d’une recommandation de son ex-mari auprès d’un ministre
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