Stefan Zweig
lunatique de certitudes et de flou, il est capable de changer de cap en une nuit, ou d’une tasse de café à l’autre. Il a écrit des poèmes, rédige d’innombrables chroniques pour d’innombrables revues, mais sa passion est le théâtre. A la fois critique et auteur, ses pièces les plus connues sont Franzl et Le Concert. A ses côtés, plus discret mais pas plus paisible, se tient un séducteur. Il est aussi médecin, mais la médecine ne l’accapare guère. L’œil vif, le geste caressant, quand ses innombrables aventures féminines lui lais sent un peu de temps, Arthur Schnitzler écrit – c’est son activité principale, la passion de sa jeunesse et de sa vie. Il a toujours écrit, depuis qu’il a l’âge de se servir d’une plume. En 1900, il est l’écrivain le plus célèbre du cercle, ce qui le gêne un peu. Sa popularité lui vaut de passer auprès de ceux qui ne sont pas ses amis pour un auteur à la mode. Au théâtre, il a déjà fait scandale. Sa peinture acide des sentiments et des mœurs contemporains fait grincer des dents les conformistes, les bien-pensants. Anatole, Liebelei, et Au perroquet vert (Zum grünen Kakadu) lui ont valu quelques volées de bois vert, de la part de la critique traditionnelle. Les Jeune-Vienne exultent quand ils peuvent secouer le cocotier. Ils sont fiers de Schnitzler, qui s’est vu déchoir de son poste de médecin militaire, à la suite d’une chronique où il portait un regard moqueur sur l’armée impériale et royale, ce bastion de traditions surannées.
Il y a parmi eux quelques figures étonnantes : Peter Altenberg, de son vrai nom Richard Engländer, une sorte de poète clochard, sans domicile fixe, qui erre d’une salle de café à l’autre, en fripes, et écrit dans l’ivresse des éclairs de vie qu’il a perçus, des morceaux pathétiques d’existences qui semblent brisées en mille morceaux de verre. Ou Richard Beer-Hofmann, surtout connu pour ses mises en scène d’auteurs d’avant-garde, mais qui écrit aussi des pièces de théâtre et des poèmes. Et dont la faconde contribue à l’atmosphère houleuse, chaleureuse et polémique du cercle.
Stefan Zweig n’a pas encore osé se présenter au Café Central. Il rêve de rompre sa solitude et de se faire connaître. Pénétrer dans le cercle est une initiation, mais demande des introductions ou des lettres de noblesse. On a reçu Hofmannstahl – en culottes courtes ! –, parce qu’on l’admirait, qu’on le jugeait digne, le plus digne même, de s’asseoir à la table ronde des poètes. Zweig devra faire ses preuves.
Il écrit dans la fièvre. En 1900, à son actif, déjà trois ou quatre cents poèmes peut-être, c’est le chiffre qu’il avance. Il écrit le jour, au lieu d’aller à ses cours de philo, et la nuit, au lieu de dormir. Il écrit partout, chez lui et au café – de préférence au Beethoven –, et il a gardé longtemps un cahier de maths du lycée parce qu’il était, entre les lignes d’algèbre, griffonné de vers, de rimes, de strophes, de jeux sonores et d’allitérations. En 1898, Karl Emil Franzos, encore un poète, a publié le premier poème du jeune homme, Rosenknospen (Boutons de rose), dans la revue au titre prometteur qu’il dirige, Die Zukunft (L’Avenir). D’autres poèmes seront publiés, avant que Zweig atteigne ses vingt ans, dans des cahiers d’avant-garde, viennois ou berlinois, comme Die Gesellschaft . Au total, cent cinquante ou deux cents auront été imprimés, dès 1900, épars ici ou là, au hasard des publications. Leur jeune auteur, encore influencé par le symbolisme de Rilke et de Hofmannstahl, déclare que pour lui, « l’encre d’imprimerie a le parfum suave des roses de Chiraz ». Mais son succès précoce, quoique encore confidentiel, ne lui tourne pas la tête. Stefan Zweig demeure fragile, incertain de ses dons. Il n’aime pas ce qu’il écrit.
« Je suis convaincu de n’avoir, dans le meilleur des cas, qu’un petit talent… sans aucune originalité et toujours influencé par mes lectures », écrit-il à Karl Emil Franzos, le 3 juillet 1900 – avant les résultats du bac. Orgueilleux, très exigeant, il place si haut son idéal poétique qu’il lui semble n’avoir ni la force ni les capacités de l’atteindre. Il n’espère pas égaler jamais Rilke ni surtout Hofmannstahl, dont les dons l’éblouissent, et qu’il place, avec vénération, au firmament. Lui se juge très
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