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Stefan Zweig

Stefan Zweig

Titel: Stefan Zweig Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dominique Bona
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noire qu’un cercueil », écrit-il le 16 juillet. L’image lui restera gravée au cœur. Le sujet juif de sa pièce le ramène à une réflexion plus vaste, non moins douloureuse mais sereine. Il se défend d’être sioniste et tient à souligner à l’intention des futurs directeurs de théâtre, qui pourraient accepter de la produire, l’universalité de son propos : Jérémie est un exemple d’homme lucide et sage, livré sans résistance à une horde de fanatiques. Les victoires de l’armée autrichienne dans les Carpates lui apportent moins de consolation que les paroles du prophète, même si ces dernières ont le goût amer d’un éternel reproche : « L’heure est proche où les vivants envieront les morts, fait-il dire à Jérémie, où ceux qui veillent envieront ceux qui se taisent. Oh, comme j’ai déjà le désir du silence, comme je brûle d’être le frère des morts ! Arrière, laissez-moi, je me joins à vous pour être délivré du monde, et qu’Israël soit délivré de moi ! »
     
    Torture de toute vie, y est-il dit encore, torture de toutes paroles,
    Bénie soit l’ombre et béni soit le tombeau.
     
    Chaque jour qui passe ancre les peuples dans la guerre, augmentant son pessimisme et son repli sur soi. En octobre 1914, l’entrée en guerre de la Turquie du côté allemand puis celle de l’Italie, en mai 1915, du côté franco-anglais, ont encore élargi le front des combats, le feu s’étend tel un brasier incontrôlable, dont il sent la puissance et constate les ravages. Son seul espoir est d’observer qu’autour de lui, en Autriche, la lassitude devient un sentiment partagé. Les gens sont fatigués des privations et de l’horreur. Nul ne peut plus ignorer les massacres – « nous nous saignons en hommes », écrit Zweig –, chaque famille est en deuil, chaque quartier, chaque village compte ses morts, et les survivants qui reviennent du front, mutilés ou couverts de blessures, hantent les rues comme autant de cauchemars. « Nul ne demande plus : Si nous sommes vainqueurs, qu’allons-nous en retirer ? mais uniquement : A quand la paix ? » De savoir qu’il n’est plus aussi seul, que d’autres hommes, d’autres femmes partagent son désarroi et espèrent comme lui, quelle qu’en soit l’issue, en une solution prochaine, Zweig retrouve un peu d’humour. La guerre ? « Elle s’enlise dans l’interminable, écrit-il à l’automne. Un vrai roman allemand qui n’en finit pas. »
     
    Le 20 novembre 1915, il reçoit par la poste – la censure autrichienne se relâcherait-elle ? – un recueil que lui envoie, de France, le poète Pierre Jean Jouve. Il est intitulé Vous êtes des hommes , et dédicacé « à Stefan Zweig, fraternellement ». Il en pleure de joie.
     
    3 La plupart lui seront, en effet, confisqués et mis aux enchères. Il ne pourra les récupérer que grâce à l’intervention amicale de Rolland, de Gide et de Vildrac.
     

    Jérémie, le prophète sacrifié
     
    Il quitte Vienne début 1916 pour s’installer à Kalksburg, une banlieue proche de Rodau, connue pour son collège de jésuites, plus propice à ses désirs d’isolement. « Je veux m’occuper de mon seul univers, a-t-il décidé, l’autre, l’extérieur, me devient chaque jour plus incompréhensible. » Friderike y a découvert dans un grand jardin, derrière un mur, deux pavillons jumeaux, que sépare un bouquet d’arbres. Elle s’installe dans l’un d’eux avec ses enfants, la nurse et la cuisinière, tandis que Zweig – avec Joseph, son valet – prend ses quartiers dans l’autre. Il peut s’y réfugier avec ses livres et poursuivre, en dehors de son assommant et révoltant travail aux archives, son œuvre d’écrivain. Il a désormais conscience de servir une cause qui vaut tous les sacrifices, « la réconciliation future de l’Europe ». L’actualité apportant chaque jour son lot de mauvaises nouvelles, il va se battre pour un avenir qu’il espère proche, le retour à la paix des nations fratricides. C’est à cela qu’il veut s’employer, à cette tâche démesurée, qui est pour lui au premier rang des urgences. Elle lui paraît infiniment plus utile et courageuse que cette bravoure héroïque, dictée par le sens du devoir, qui consiste à « enfoncer une baïonnette dans l’estomac d’un paysan russe ». Il l’explique à sa compagne, qui approuve son choix : il se sent appelé à cette mission réconciliatrice. Loin de

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