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Stefan Zweig

Stefan Zweig

Titel: Stefan Zweig Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dominique Bona
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j’étais tenté de montrer l’endurcissement que toute forme de puissance produit dans un homme, le raidissement de l’âme que la victoire provoque dans des peuples entiers, et de lui opposer le pouvoir de la défaite qui remue douloureusement, qui laboure les âmes en les fécondant. » A l’heure où la plupart s’encouragent en se répétant : « Vaincre ou périr ! », il choisit son camp, qui n’est pas celui du plus fort, mais celui de qui entend penser en toute liberté, selon les principes humanistes que son époque a reniés. Succomber sous la violence peut mener à Dieu : il fait sien ce message de Jérémie, laïcisé, adapté au contexte de l’intellectuel moderne aux prises avec des autorités et un sens de l’Histoire qu’il conteste. En même temps, comme aux pires moments à venir de sa vie, il renoue avec ses origines et, se raccrochant à la tradition séculaire des siens, se souvient qu’il est juif. Le judaïsme, remonté à la surface de sa conscience, le confirme dans la sagesse de son personnage, puisqu’il sait pareillement défendre les vertus des vaincus. « N’était-ce pas lui, mon peuple, écrira-t-il dans ses Mémoires, qui avait sans cesse été vaincu par tous les autres peuples, et qui pourtant leur survivait, grâce à une force mystérieuse – cette force, précisément, qui transformait la défaite par la volonté tenace d’y résister ? » Zweig écrit son drame en revivant l’une des pires épreuves du peuple juif, semblable à la tragédie d’aujourd’hui.
     
    Promu adjudant au même mois de juin 1915 – « Je ressens cela, comme une ironie » –, l’armée l’envoie sur le front polonais. Il doit établir un rapport sur la situation matérielle des troupes, et a reçu pour mission de récupérer – tâche des plus minutieuses, et des plus attrayantes pour un collectionneur ! – les placards et les tracts de la propagande russe. Le voyage dans la guerre se chargera de le détourner de cette aimable distraction. Parti le 14 juillet de la gare du Nord de Vienne, parvenu le 15 à Auschwitz, où embarque un groupe de soldats allemands, il va passer une dizaine de jours en Galicie, la patrie de l’écrivain Joseph Roth qui sera plus tard son ami. La guerre n’a été pour lui jusqu’alors qu’une abstraction. Il en a conçu les atrocités dans son cœur, par l’imagination. Son tour de la province orientale de l’empire, à la frontière polonaise, qui l’amène de Cracovie à Budapest, en passant successivement par Tarnow, Debica, Jaroslav, Przemysl, Sambor, Boryslav et Sryj, avant de finir par les Carpates, lui fait découvrir tout ce qu’il ignorait – la laideur, la tristesse, la souffrance physique, la mort. D’un train militaire à l’autre, en traversant les campagnes meurtries par le feu dont parle Barbusse, les villes dévastées, les villages en ruine ou en cendres, il ne sait plus où porter son regard. Sa pitié est immense. Pour la première fois de sa vie, il ne peut plus écrire – sinon dans son journal un bref compte rendu. L’horreur le submerge avec la réalité physique de la souffrance. Tout en mesurant à quel point dans cette guerre, il est un privilégié. Dans un train sanitaire, tout un jour et toute une nuit, il aide un jeune lieutenant, blessé au ventre, à mourir.
     
    Dehors, la terre aussi est mutilée, les obus l’ont labourée comme autant de blessures. Dans le train, les hommes agonisent. Zweig leur abandonne sa portion de pain et s’enfuit. Il déborde de rancœur envers les dirigeants politiques, responsables de tant d’injustices, capables de mener des hommes comme des bestiaux à l’abattoir. Les champs de bataille ne sont rien d’autre qu’une immense boucherie, dit-il. Son retour à Vienne est celui d’un homme à la paix et à la civilisation, au cocon des idées et des livres. Le voyage, accompli en uniforme de sous-officier, lui a été une occasion continue de se révolter. Ses rêves poétiques et fraternels, brutalement mis à l’épreuve, en sortent confortés. Il a vu la vérité. Il le sait désormais, en a eu la preuve, toute guerre est un crime.
     
    En Galicie, une autre découverte l’attendait. Le Juif intégré, assimilé, prince autrichien de la tolérance, a pénétré à Tarnow dans un ghetto : il n’avait jamais vu pareille cité dans la cité, pareille prison ni pareille misère. Dans le journal, son commentaire est lapidaire : « Chaque cabane est aussi

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