Stefan Zweig
est trop précieuse pour qu’il puisse songer à lui en vouloir longtemps, pour une faiblesse d’auteur. Il pardonnera. Et les Romains, Jules et Lise, sa seconde épouse, seront des amis de Zweig, fidèles et loyaux jusqu’aux derniers jours. Pour Zweig, en vérité, Romains qui s’apprête à entamer les vingt-sept tomes des Hommes de bonne volonté , n’a qu’un défaut : il n’aime pas écrire de lettres et répond, laconique, à celles qu’on lui envoie !
A Arcos, à Romains, à Rolland, à tous ces écrivains, Zweig est lié par un sentiment sincère, incorruptible que seule la politique aura pouvoir de diluer. Il ne les fréquente pas pour leur notoriété – quand il les a connus, ils débutaient comme lui dans la littérature. Il les a choisis pour leurs affinités. Ce sont des hommes de même culture. Il y a entre eux, ainsi que Jules Romains l’a écrit dans La Vie unanime , « une harmonie naturelle et spontanée », au sein d’un groupe, « ils participent à la même émotion ». Tous sont poètes, même si la suite de leur carrière les confirme comme romanciers, ils ont le sens du rêve et de la formule, et beaucoup d’histoires très belles, très humaines, à raconter. Sauf Rolland qui est leur maître à tous, leur grand aîné, ils ont à peu près le même âge. Cette génération de la guerre croit en l’homme, en ses vertus, en sa raison, en ses pouvoirs. De tempéraments, de styles différents, ils ont en commun cette conscience, plus ou moins sereine, plus ou moins tourmentée, d’avoir un rôle à jouer pour l’avenir du monde et de la paix. Ce sont des humanistes, peut-être les derniers.
Zweig se dévoue à ses amis. Il ne lit pas seulement leurs livres, il se préoccupe, comme avec Verhaeren, de les faire lire et connaître autour de lui ; il les présente à son éditeur ou à d’autres si Anton Kippenberg n’est pas intéressé, et pour les amis français, quand il ne les traduit pas lui-même, il se soucie qu’ils le soient par des traducteurs dont il connaît le talent. Son zèle est inlassable. Il rédige des articles, ne manque pas une occasion de les citer dans ses conférences. Chez Insel Verlag, depuis Noël 1920, il dirige une collection, dont le titre reflète l’ambition : la Bibliotheca Mundi. Elle sera sa grande affaire ( mein Hauptgeschäft , dit-il) pendant de nombreuses années. Zweig est en permanence sur le pont, pourrait-on dire. S’il veille sur ses confrères et amis contemporains, il ne dédaigne pas les talents plus jeunes. Le travail qu’il accomplit, plein d’une extraordinaire confiance envers les écrivains qui lui sont proches, il l’accomplira pareillement, avec un même élan, un même dévouement, pour aider des inconnus à leurs tout premiers livres.
Car sa curiosité et sa générosité ne se limitent pas à sa génération. Nombre d’auteurs de langue allemande – Klaus Mann, Joseph Roth, Hans Carossa ou Erich Maria Remarque, pour n’en citer que quelques-uns – lui seront redevables de leurs débuts. Il préface leurs livres, qu’il recommande à ses éditeurs, en Allemagne et en France, écrit des critiques pour les lancer, et leur donne de multiples conseils. Klaus Mann, le fils de Thomas, rappellera qu’à la parution de son premier recueil de nouvelles, Devant la vie , en 1925, « le plus bel encouragement me vint de Stefan Zweig ». Dans Le Tournant , les souvenirs qu’il écrira après la mort de Zweig, il raconte que ce dernier, « infatigable découvreur et promoteur de jeunes talents », lui confia dans une lettre, en 1925, ce message qui lui fut ô combien précieux : « Continuez seulement comme cela, cher ami. Certains sont peut-être enclins à vous démolir, parce que vous êtes le fils de votre célèbre père. Ne vous inquiétez pas de semblables préjugés. Travaillez ! Dites ce que vous avez à dire – ce n’est pas peu, si je ne me trompe… J’attends beaucoup de vous. Ecrivez un nouveau livre ! Et pensez à moi en travaillant – aux espérances que je nourris pour vous, à la confiance que je mets en vous. » Fragile et inquiet lui-même, Zweig sait qu’un auteur a besoin avant tout d’amour. « Je pensai à lui, écrit Klaus Mann. Et cela m’aida. » Erich Maria Remarque lui envoie en 1921 ses premiers poèmes ; il suivra sa carrière jusqu’à l’énorme succès d’ Im Westen nichts neues (A l’ouest rien de nouveau) en 1929, et à sa traduction française
Weitere Kostenlose Bücher