Suite italienne
pour sa vie. Pourtant, elle demeura ainsi, faible et sans forces, jusqu’au 10 juin, où elle fut prise d’une terrible crise d’entérite, fatale cette fois. Le 15 juin mourait à Montargis Renée de France, duchesse de Ferrare et de Montargis, une femme secrète, étrange, sur les convictions religieuses de laquelle la lumière n’a jamais encore pu être faite.
Capello (VENISE)
La sorcière de Venise
(1563)
À l’aube du 29 novembre 1563, une barque plate glissait sur l’eau noire de la lagune en direction de Fusina. Trois personnes l’occupaient : le batelier qui, du bout de sa longue perche rythmiquement balancée et plantée dans la vase du fond, faisait avancer la barque, et deux jeunes gens, un garçon d’environ dix-huit ans et une très jeune fille. Serrés l’un contre l’autre, ils se tournaient fréquemment vers le levant où le jour commençait à découper la silhouette des dômes et des campaniles de Venise. La ville à contre-jour se dessinait à l’encre de Chine sur les moirures de l’eau morte, mais les yeux inquiets des deux passagers disaient assez leur peur. On les sentait aux aguets, cherchant à saisir, malgré la distance, les échos du tocsin signalant leur fuite. Seul, le batelier, insoucieux d’un danger qu’il ne soupçonnait pas, chantait. Il avait pris les jeunes voyageurs dans sa barge à la sortie du Grand Canal. On lui avait remis une belle somme en or pour les conduire jusqu’à Fusina, et il était si joyeux en pensant à l’aisance que lui procurerait cet or.
Quant aux deux fugitifs, si la peur les tenaillait tellement, c’est parce qu’ils n’ignoraient pas le sort qui les attendait au cas où ils seraient repris : ce serait la mort sans phrases ! En effet, si le jeune homme n’était qu’un modeste commis florentin employé à la banque Salviati, se nommant simplement Pietro Buonaventuri, la jeune fille appartenait à l’une des plus riches et des plus nobles familles patriciennes de Venise. Elle s’appelait Bianca Capello, de la lignée des Grimani-Capello. Elle avait à peine seize ans. C’était la plus ravissante fille de Venise, et ses parents la destinaient au fils du doge, Girolamo Priuli…
Mais sur la trame brillante de cette destinée, l’amour avait tiré une flèche… La belle Bianca s’était éprise du garçon de banque, de ce Pietro d’origine plus que modeste, mais beau comme un dieu grec. De sa fenêtre, dans le palais paternel de San Appolinare, elle avait pu le voir, chaque jour, entrer et sortir de sa banque, et s’était éprise de lui sans même s’en rendre compte. De son côté, Pietro n’avait pas été sans remarquer cette jolie créature et il en était tombé amoureux. Peut-être à cet amour joignait-il un habile calcul ? Quelle épouse inespérée que cette patricienne pour un Buonaventuri !
Très conscient de l’effet produit sur Bianca, Pietro lui avait fait la cour, obtenu ses faveurs au point qu’assez vite un fruit bientôt visible s’était annoncé. Il fallait prendre une décision : rester, c’était l’arrestation, la mort pour le séducteur comme pour sa complice ; s’enfuir, c’était aussi la mort pour rapt. Mieux valait fuir… Au moins cela laissait une chance d’en sortir vivants.
Grâce à l’or de Bianca et à celui que Pietro avait, sans trop de scrupules, soustrait à sa banque, ils avaient soudoyé des gondoliers qui, dans la nuit, avaient arrêté leur silencieux esquif sous la fenêtre de Bianca puis fait force rames… jusqu’à la sortie du Grand Canal où la barge attendait. Maintenant, les deux amants étaient lancés dans une aventure sans retour. Ils n’avaient plus le droit, ni la possibilité, de revenir sur leurs pas.
C’était à cela qu’ils songeaient en regardant le soleil se lever peu à peu derrière les dômes dorés de San Marco. Mais déjà, la lagune devenait canal et la barque s’engageait entre les grandes herbes et les roseaux. Venise s’effaça de leur vue. Alors seulement, Bianca sourit à Pietro.
— Nous sommes libres, mon Pietro… nous avons réussi.
— C’est vrai, fit le jeune homme en écho… nous avons réussi !
C’était une constatation étonnée, comme s’il n’arrivait pas encore à y croire. Pourtant, ils étaient déjà trop loin pour que l’on pût les rattraper. À Padoue, ils trouvèrent des chevaux et prirent au galop la route de Florence, patrie de Pietro. Là, dans la capitale du grand-duché de Toscane,
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