Suite italienne
repasser à cheval sous les fenêtres de la belle. Ces fenêtres finirent par s’ouvrir sous la main complaisante de la vieille Marietta. Et François put voir celle qui l’intriguait tant. Depuis quelques jours, elle était mère d’une petite fille.
Il ne fut pas déçu. Et même, la beauté de la jeune femme l’éblouit à tel point qu’il demeura un instant sans voix, la tête levée vers cette extraordinaire apparition, oubliant de guider son cheval. C’est que Bianca possédait réellement un éclat peu commun. La couleur blond fauve foncé, nuancée de roux, de sa chevelure, ce magnifique et si rare blond vénitien mettait en valeur un teint transparent, des yeux sombres, profonds et lumineux en même temps, une pureté de traits plus que classique. Le prince en tomba amoureux au premier regard et d’un si violent amour qu’il n’eut de cesse de se faire présenter sa belle Vénitienne.
Une grande dame, la marquise de Mondragone, se chargea de l’agréable commission. Elle entra en relation avec Bianca, l’attira chez elle, où, comme par hasard, François venait assez souvent. L’étoupe et la flamme étant ainsi mis en présence, il suffisait de souffler légèrement.
— Savez-vous, ma chère, que le prince François est follement épris de vous ? dit un matin la marquise à Bianca.
La jeune femme rougit, se troubla infiniment trop pour que l’officieuse dame n’en tirât pas les plus heureuses conclusions. Bianca, cependant, balbutiait :
— Vous me flattez, Madona… Mes mérites sont trop minces pour attirer les regards d’un si grand prince.
— Que voilà de l’hypocrisie, s’écria la marquise en riant. Vous n’en pensez pas un mot, Bianca ! Et j’irai même jusqu’à insinuer que la vue du prince ne vous laisse pas insensible. Ai-je raison ?
Pour éviter de répondre, la jeune femme détourna les yeux, le visage brusquement empourpré. Elle éprouvait une gêne à avouer l’impression que lui avait produite la vue de François. Dans cet homme jeune, courtois et galant, elle retrouvait enfin l’atmosphère à laquelle, jeune fille, elle était habituée dans le palais de ses parents. Il n’était pas comme Pietro un rustre avide. Il était de la même race qu’elle : un seigneur !
Comme la marquise de Mondragone paraissait attendre une réponse, Bianca se contenta de murmurer :
— C’est toujours avec un très vif plaisir que je rencontre Son Altesse, chère amie.
— À la bonne heure, fit celle-ci en riant. Vous ne vous compromettez guère… et j’espérais mieux.
Mais M me de Mondragone avait vu juste : François était follement épris de Bianca et Bianca le lui rendait sans peine. La passion fit le reste. Une nuit, le prince se glissa dans la maison des Buonaventuri dont la porte avait été laissée ouverte comme par hasard. Pietro était absent : une affaire du côté de Pontasieve qui devait le retenir un jour ou deux… Et cette nuit-là, dans la maison de Pietro, Bianca devint la maîtresse de François avec la bénédiction de son époux et de ses beaux-parents par-dessus le marché.
La liaison des deux amants n’allait guère tarder à devenir publique. François, fier de sa maîtresse, l’étala avec une insolence qui n’eut d’égale que la servile complaisance du mari. Pietro, en effet, couvert d’or et de bénéfices par le prince, se montrait plus que discret. Et tout eût été pour le mieux dans le meilleur des mondes, si le duc Cosme ne se fût inquiété de l’état des choses. Pour rejoindre Bianca dans la maison de la piazza San Marco que les Buonaventuri lui ouvraient avec une extrême libéralité, François devait traverser quasiment toute la ville qui, de nuit, était aussi peu sûre que possible. Mécontent, Cosme I er fit déposer chez son fils, avec l’ordre de venir lui parler, la lettre suivante :
« Les promenades solitaires et nocturnes par les rues de Florence ne sont bonnes ni pour l’honneur ni pour la sûreté, surtout lorsque l’on fait de ces promenades une habitude de chaque nuit. Et je ne puis vous dire quels sont les mauvais résultats qu’une pareille conduite peut produire… »
Cosme savait de quoi il parlait. Lui-même avait installé dans sa ville de Careggi sa maîtresse, Camilla Martelli, une belle Florentine avec laquelle il vivait depuis la mort d’Éléonore de Tolède, survenue en 1562. François soupira et s’en alla voir son père.
— Outre le danger que vous courez,
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