Suite italienne
sa passion pour Bianca, François négligeait totalement les affaires de l’État. Le mécontentement grandit encore, attisé par les agents du cardinal Ferdinand qui travaillaient sans peine une terre toute préparée.
Bianca, plus avisée que son époux, se rendit compte de cet état de fait. La réprobation était publique. L’archevêque même se déchaînait en chaire contre « la Sorcière » et fulminait contre le duc indigne. Ce n’était pas ainsi, presque cachée, qu’elle voulait régner. Pour tenter de parer au danger qu’elle sentait s’amplifier, elle écrivit elle-même à Ferdinand, plaidant pour un rapprochement entre les deux frères. Le grand-duc, disait-elle, se consolait mal d’être brouillé avec les siens.
Lorsque la lettre de Bianca parvint à Rome, le cardinal la reçut avec un sourire de triomphe. La Sorcière prenait peur, et c’était une chose excellente. Il ordonna que l’on préparât ses bagages et partit pour Florence…
Le somptueux automne toscan déployait ses splendeurs sur les jardins de la villa Poggio-a-Caiano, dans la banlieue de Florence. C’était l’automne de 1587 et François ainsi que Bianca en goûtaient les douceurs dans cette belle demeure jadis achetée par Laurent le Magnifique et aménagée par l’architecte Sangallo. Tout semblait s’arranger, soudain, par une espèce de miracle.
Ferdinand était arrivé et des visites courtoises avaient été échangées. Le 12 octobre, une grande partie de chasse réunit cette étrange famille. On courut le cerf et le lièvre à travers la campagne toscane, puis on se retrouva chez le cardinal pour un fastueux banquet. En rentrant, les deux époux s’attardèrent auprès d’un petit lac de leur propriété pour jouir d’une nuit splendide… et le lendemain, tous deux devaient garder le lit, pris d’une fièvre violente.
Chez François, cette fièvre s’aggrava bien vite du fait qu’il se soigna lui-même avec des médicaments de son cru, qui avaient tout au moins le mérite de l’originalité : le bouc, le hérisson et le crocodile s’y mélangeaient aux pierres précieuses et aux perles pilées. À ce régime, le prince ne tarda pas à entrer en agonie.
De son côté, Bianca se sentait décliner. Par une étrange prescience, elle avait toujours prophétisé qu’entre la mort de son époux et la sienne propre il ne s’écoulerait que quelques heures. Quand elle comprit que le temps, désormais, lui était compté, elle fit appeler son confesseur et lui dit :
« Faites mes adieux à Monseigneur François et dites-lui que je lui ai toujours été très fidèle et très aimante ; dites-lui que ma maladie n’est devenue si grande qu’à cause de la sienne et demandez-lui pardon si je l’ai offensé en quelque chose… »
Mais François était déjà mort et ne put recevoir cet ultime message. Peu après, Bianca Capello, à son tour, fermait les yeux pour toujours, tuée par une nuit humide ou par un festin mal digéré. Le mystère, si mystère il y a, n’a jamais été éclairci. Mais les sénateurs de Venise n’eurent qu’une seule voix pour déclarer : « Notre fille a été empoisonnée par le cardinal ! »
Autour des deux cadavres, une joie insultante éclata dans tout Florence. On illumina. Le cardinal, jetant sa soutane aux orties, accepta la couronne grand-ducale. Mais, s’il fit faire à son frère des funérailles grandioses, il refusa la sépulture chrétienne à Bianca, et c’est dans un terrain vague que fut enterrée clandestinement « la Sorcière »…
Sforza ( MILAN et FORLI )
La bonne étoile de Ludovic le More :
Béatrice d’Este
L’automne enveloppait Ferrare de sa chaleur adoucie, de ses teintes flamboyantes et d’une vie nouvelle, succédant aux torpeurs accablantes de l’été. La vigne mûrissait, accrochée à ses hauts espaliers, dans l’immense plaine du Pô dont le cours retrouvait vigueur et couleur. C’était un bel automne que celui de cette année 1489 et pour les gens de Ferrare, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ne possédaient-ils pas l’une des plus grandes villes d’Italie, la plus moderne en tout cas ? Le duc Hercule I er d’Este régnait avec sagesse et il était des marchands qui se reconnaissaient moins avisés que lui tandis que les hommes de guerre admettaient en lui un seigneur.
Au premier étage de ce château, dans une grande salle peinte à fresque, une très jeune fille, presque une
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