Suite italienne
rêve.
Mais si elle était pleine de qualités séduisantes, Béatrice était aussi affreusement jalouse et « Vico » n’allait pas tarder à s’en apercevoir… au cours d’une scène demeurée mémorable.
— Cette Cecilia est ta maîtresse ! cria Béatrice en frappant du pied. Ne le nie pas, je le sais. Comme je sais que l’enfant qu’elle vient de mettre au monde est le tien.
Elle était rouge de fureur et la résille d’or ponctuée de rubis censée retenir ses épais cheveux glissait dangereusement de côté. Ludovic s’efforça, en contrepartie, de demeurer calme.
— Quelle idée folle, Bice, mon cœur. La comtesse Bergamini est en puissance d’époux et le comte…
–… n’est qu’un vieux débris, comme tout Milan le sait. Ne t’abaisse donc pas à mentir. Cela m’offense plus encore. Je n’ai d’ailleurs aucunement l’intention de faire scandale, mais tu devras choisir : ce sera elle ou moi. Si tu gardes cette femme, je retourne à Ferrare et je demande au Saint-Père d’annuler notre mariage.
— Tu ne feras pas cela ! Tu sais très bien que je t’aime… que je tiens à toi.
— Alors, prouve-le-moi en ne mettant plus les pieds au palais Bergamini.
Avec un soupir étouffé, Ludovic promit. Bon gré, mal gré, il lui fallut bien s’exécuter. Bice, il le savait, était tout à fait capable de mettre sa menace à exécution. Or, il tenait réellement à elle et ne voulait pas la perdre, surtout depuis qu’il la savait enceinte. Si c’était un fils, il pourrait plus aisément lutter contre le couple ducal qui en avait un depuis quelques mois.
Bientôt, il le savait, il faudrait se battre ouvertement pour Milan, car les relations se tendaient entre les deux ménages, et Béatrice y était pour beaucoup.
Ayant vécu à Naples dans son jeune âge (sa mère était aussi une Aragon), elle connaissait Isabelle depuis longtemps, mais à présent qu’elles vivaient côte à côte, Béatrice avait de plus en plus de peine à supporter Isabelle, et vice versa. L’orgueil de Béatrice souffrait de ne pas être la première dans Milan et Isabelle jalousait le luxe dans lequel vivait Béatrice, qui dépassait de beaucoup son propre train de vie, assez modeste. En effet, s’il couvrait son épouse d’or et de pierreries, Ludovic se montrait d’une étrange ladrerie lorsqu’il s’agissait du couple ducal. Et c’était lui qui tenait les cordons de la bourse.
Il lui avait assigné, comme résidence, le château de Pavie, à quelques lieues de Milan, alors que lui et Béatrice occupaient le grand château Sforza au cœur de la cité. Le jeune duc, en ce qui le concernait, ne s’en plaignait pas. Délivré des soucis du pouvoir, il pouvait tout à son aise chasser et courir les filles, mais la fierté d’Isabelle souffrait. De violentes altercations l’opposèrent à Ludovic, qu’elle accusait de vouloir déposséder son neveu. Elles n’obtinrent d’autres résultats que de bonnes paroles et des protestations de dévouement.
En désespoir de cause, la duchesse porta ses plaintes à Naples, où régnait Ferrante, son grand-père, une sorte de fauve couronné. Or, Ferrante n’était pas homme à endurer longtemps une offense faite à l’un des siens, et le duc de Bari ne tarda pas à apprendre qu’une guerre allait lui tomber d’un jour à l’autre sur le dos. Comme il détestait la guerre, il lui parut expédient de procurer à Ferrante une occupation assez sérieuse pour le détourner de ces projets.
Sur ses ordres, son ambassadeur en France alla rappeler au jeune roi Charles VIII les droits que ses ancêtres lui avaient légués sur le trône de Naples. Charles ne rêvait que romans de chevalerie, gloires et fumées italiennes. Il mordit à l’hameçon, prépara son armée. Ludovic se frotta les mains et se crut sauvé. Néanmoins, Béatrice sut lui faire admettre que, tant qu’elle serait duchesse en titre de Milan, Isabelle serait dangereuse. Ne valait-il pas mieux en faire une veuve ?
— Galeas est malade, faible de constitution, suggéra la jeune femme. Il faudrait si peu de chose… et je sais que tu possèdes ce peu de chose.
— J’ai horreur de faire couler le sang, coupa Ludovic.
— Qui parle de faire couler le sang ? Il est des moyens plus simples, moins voyants. Ne te semble-t-il pas qu’il est ridicule que, possédant la réalité du pouvoir, tu n’en aies pas également le titre ?
La première fois que Béatrice avait abordé
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