Sur la scène comme au ciel
ancienne datant de la première année de leur mariage pour
les retrouver au bras l’un de l’autre. Deux photos, en fait, que dans mon
souvenir j’avais jumelées, superposées, et c’est en toute bonne foi que je les
décrivais, nos beaux parents, marchant sur une petite route de campagne et
souriant au photographe, quand sur la première, s’il s’agit bien d’une petite
route de campagne – à proximité d’une ferme dont on aperçoit un corps
de bâtiment, un hangar destiné sans doute à abriter les foins, puisque, placée
devant, cette masse imprécise, ce doit être une meule, et d’ailleurs le chemin
porte l’empreinte de deux traces parallèles de roues de charrette –, ils
sont pris de trop loin pour lire l’expression de leurs visages, d’ailleurs la
mise au point de l’appareil est ratée, qui confère un aspect brumeux à la
photographie, le responsable étant dénoncé par cette ombre sur la route qui
remonte sur le manteau gris du jeune homme, ce qui nous permet de déduire que
ce photographe vraiment amateur portait un chapeau, grand-père, peut-être, ou
monsieur Pineau, son ami journaliste et fondateur de La Revue des tabacs ,
tous deux toujours chapeautés, et d’après maman, dont la nostalgie n’était pas
la spécialité, la seconde, où on les voit traverser un village avec élégance,
aurait été prise à La Plaine, berceau de la famille de sa mère, petite cité du
littoral qui a rajouté Sur-Mer à sa toponymie pour attirer les
touristes – et les maisons basses à toit de tuile plaideraient de
toute façon pour une commune du sud de la Loire - ou Doué-la-Fontaine
peut-être, où résidait son cousin Jean dit JeanDu, mais il lui semblait que
c’était plutôt après qu’avant leur mariage. Et tant mieux si c’est après car,
sur la première photo, ils sont un peu empruntés, fiancés timides, au lieu que
sur la seconde le bonheur évident affiché par leur deux sourires jumeaux, leurs
pas décidés, paraissent bien augurer de leur nouvelle vie commune. Mais, en
fait, l’oncle Paul se montre catégorique : il s’agit de
Saint-Laurent-sur-Sèvre, où habitait le même JeanDu avant son mariage, et où
prit fin, en 1716, la carrière itinérante et apostolique du très redouté père
de Montfort.
Sur ce qui s’est passé ensuite, et qui sans doute contribua
à déposer une pluie de cendres sur ce bonheur du jour, nous le savons : un
premier enfant mort du choléra, par la négligence d’un directeur de maternité
qui avait tenté de camoufler l’épidémie dans son établissement nantais avant de
se résigner à sa fermeture, mais trop tard pour le petit Pierre et quelques
autres, – et sur l’agonie du petit Pierre et le chagrin à rebonds des
parents, nous avons ce témoignage d’Alfred, le grand-père éphémère, qui sur une
carte postale, illustrée d’une photographie de la cathédrale Notre-Dame de
Fourvière, vue de l’abside, annonce la bonne nouvelle à sa fille Annick et à
son gendre, savoir que par le pouvoir de la prière lui, Alfred le pieux, peut
obtenir des miracles de ceux à qui il demande d’intervenir : Lyon,
jeudi 13 h, ma petite Annick, mon cher Joseph, je viens de téléphoner à JeanDu,
votre petit Pierre serait sauvé. Vous ne saurez jamais ma peine, mardi soir, en
apprenant l’aggravation de votre petit gars. Seul dans ma chambre, plein de
tristesse, j’ai pris la photo de la petite sainte Thérèse que j’ai toujours
dans mon portefeuille. J’ai aussi la photo d’Annick en communiante et en petite
fille. Regardant les deux photos j’ai supplié Thérèse d’éviter la peine de la
mère en sauvant son enfant. Dans une prière, ardente et de tout mon cœur, j’ai
adjuré la petite sainte de faire un miracle et de jeter encore sur vous un
pétale des roses qu’elle a promises au monde. Elle m’a exaucé.
Qu’elle soit à jamais glorifiée. Mes chers enfants, de
toute mon affection, et plein d’émotion, je vous dis à bientôt. Votre papa A. Br., mais en fait le miracle avait été ponctuel, le temps d’une courte rémission,
puisque, quand la carte arriva, le petit Pierre n’était plus, et arriva trop
tard aussi une lettre de remerciements accompagnée d’une image pieuse
représentant une vierge médiévale de la Côte d’or, au style presque aussi
archaïque que le masque de sainte Foy à Conques, sous le nom de laquelle un
scribe anonyme, préposé aux indulgences, a rajouté : Protégez votre
petit
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