Sur ordre royal
peut-être dans le fait que Trefor avait eu vent de la dot de dame Roslynn et qu’il pensait que Madoc avait l’intention de la prendre. Bien sûr, ce n’était pas une excuse mais la jalousie de Trefor se nourrissait de tout prétexte.
— Pas une branche cassée, pas une empreinte de sabot ou de pied, observa Emlyn d’un air sombre. C’est comme de la magie, la façon qu’ils ont d’aller et de venir, aussi invisibles que des démons.
— Oui, des démons, mais ce n’est pas de la magie, dit Madoc. Trefor connaît ces collines aussi bien que nous.
Emlyn soupira tandis que l’agneau dans ses bras continuait à bêler plaintivement.
— Oui, c’est sûr. Mais je n’aurais jamais pensé qu’il se servirait de ce savoir contre nous, un jour.
— Il n’est plus l’homme qu’il était, marmonna Madoc.
En vérité, il considérait autrefois son frère aîné comme l’exemple du noble guerrier, beau, courageux, habile aux armes, irrésistible pour les femmes mais trop honorable pour en tirer avantage. Dans leur enfance, Madoc trottait derrière Trefor comme un chiot plein d’admiration et essayait de l’imiter en tout.
Jusqu’au jour du mariage de Trefor, lors duquel ce dernier avait jeté la disgrâce pas seulement sur lui-même, mais aussi sur sa famille, et avait failli détruire une alliance qui durait depuis trois générations.
Madoc se tourna vers l’homme qui était venu trouver sa patrouille, la veille, pour lui dire que les Normands étaient arrivés.
— Daffyd, prenez dix hommes, attrapez-moi six moutons du troupeau de Trefor et essayez de retrouver le bélier noir. Mais ne tuez aucune bête. Ma querelle est avec mon frère, pas avec son bétail ni avec les gens qui dépendent de lui.
Daffyd hocha la tête, puis toucha la poignée de son épée.
— Et si ceux qui ont le bélier provoquent un combat ?
— Ne tuez personne, même pas pour le bélier.
Le déplaisir de ses hommes était évident mais Madoc l’ignora, comme toujours. Son frère restait son frère et il ne pourrait jamais le dénoncer, sachant qu’au pays de Galles, le châtiment pour le vol était la pendaison. Il n’attaquerait pas non plus Pontymwr à moins que Trefor n’attaque Llanpowell. Il ne sacrifierait pas des vies à cause de sa querelle avec un homme plein d’amertume et de ressentiment.
— Vous trois, dit-il aux hommes qui se trouvaient le plus près de lui, aidez Emlyn avec les carcasses. Vous vous occuperez de l’agneau, Emlyn ?
— Oui, Madoc. J’ai une brebis qui en a perdu un.
Le berger dépècerait l’agneau mort et poserait sa toison sur l’agneau vivant, avant de le mettre à la mamelle de la brebis. Si tout allait bien, elle le prendrait pour le sien.
Satisfait d’avoir fait tout ce qu’il fallait pour ce jour-là, Madoc fit signe au reste de ses hommes de le suivre jusqu’à leurs chevaux. Il n’y avait pas de raison de s’attarder ici, et il avait des hôtes chez lui.
Non qu’il soit particulièrement pressé de les retrouver, pensa-t-il sombrement.
***
Lloyd se rua sur Madoc dès qu’il démonta dans la cour.
— C’étaient Trefor et ses hommes ?
— Oui.
Son oncle devint cramoisi et ses yeux bruns flambèrent.
— J’ai tellement honte de ce garçon que je pourrais en cracher par terre !
— Nous nous dédommagerons, comme d’habitude, lui assura Madoc en renvoyant le palefrenier et en conduisant lui-même Cigfran à l’écurie. Néanmoins, cette fois, il a pris le bélier noir.
Lloyd jura tandis qu’il suivait son neveu dans le bâtiment plongé dans la pénombre, qui sentait le foin.
— Il a toujours eu l’œil pour les belles bêtes.
En effet, pensa Madoc, que ce soit pour les chevaux, les chiens, les moutons ou… les femmes.
Que ferait son frère de dame Roslynn ? se demanda-t-il. La prendrait-il pour épouse si elle lui était offerte, même par John ? Ou bien dirait-il qu’aucune femme, même très belle et avec une dot importante, ne valait une telle alliance ?
Quant au tempérament bien trempé de la dame, Trefor avait toujours préféré les femmes plus placides, comme Gwendolyn.
Lloyd retourna un seau et s’assit dessus. Madoc posasa selle et sa couverture sur la cloison de la stalle et se mit à bouchonner Cigfran avec une poignée de paille.
Ces gestes automatiques l’aidèrent à se calmer, et les odeurs familières de cheval et de cuir lui rappelèrent que s’il avait beaucoup à regretter, il avait aussi de
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