Sur ordre royal
prendre une amante après sa mort, comment pourrait-elle, elle, prendre la place de cette femme dans son cœur ou dans sa vie ? Peut-être ne devrait-elle même pas essayer…
Des applaudissements résonnèrent soudain près de la porte et elle leva les yeux pour voir un homme aux cheveux gris, vêtu d’une tunique vert foncé, s’avancer vers l’estrade avec une harpe.
— Ah, voilà Ianto ! s’écria Lloyd. Le meilleur barde du pays de Galles. Je pensais qu’il n’arriverait jamais.
Il bondit sur ses pieds.
— Faites de la place pour Ianto !
Lorsqu’il atteignit le bas de l’estrade, le barde s’inclina devant Madoc et ensuite devant Roslynn, en souriant, pendant que les serviteurs s’empressaient de débarrasserles restes de la tarte aux fruits et des châtaignes de la table haute, et de lui apporter un tabouret.
Ianto ne se mit pas à jouer dès qu’il fut assis. A la place, il fixa Roslynn d’une manière déconcertante en laissant courir légèrement ses doigts sur les cordes comme s’il caressait un animal familier.
Intriguée par cette attente, et troublée par l’attention du barde, elle se pencha vers Madoc pour lui murmurer :
— Qu’attend-il donc ?
— Il réfléchit à la chanson qui conviendra le mieux à la mariée.
Roslynn ne trouva pas cette idée réconfortante, surtout si cela prenait si longtemps.
Enfin, l’homme grisonnant pinça une corde et se mit à chanter en gallois. La plupart des convives sourirent et plusieurs mirent leur main devant leur bouche pour réprimer un gloussement amusé.
Madoc, cependant, se tenait immobile comme un bloc de pierre, et l’intendant paraissait aussi sombre que lui. Encore plus mal à l’aise face à leurs réactions, Roslynn jeta une œillade à Lloyd et constata que ses lèvres frémissaient comme si lui aussi s’efforçait de ne pas rire aux éclats.
Quelle sorte de chanson, au juste, avait choisie le barde ? se demanda-t-elle avec inquiétude.
— Peut-on demander ce que chante cet individu ? s’enquit sire Alfred auprès de Madoc.
Il paraissait aussi perplexe et suspicieux que Roslynn.
— C’est à propos d’une sirène et d’un mortel qui l’aime désespérément, répondit Madoc.
— Elle lui glisse sans cesse entre les mains, vousvoyez, ajouta Lloyd, les yeux pétillants, et il a beaucoup de mal à la tenir pour…
Madoc repoussa brusquement sa chaise, l’interrompant.
— Maintenant, le jeune marié va chanter pour son épouse, déclara-t-il. Dans sa langue, afin qu’elle comprenne.
Roslynn s’empourpra et ne dit rien, mais elle était heureuse qu’il se soit levé pour défendre sa dignité. Une chanson paillarde sur des sirènes et leurs malheureux amants mortels n’était guère appropriée à un mariage entre deux nobles.
Le barde tendit sa harpe à Madoc et son époux s’installa sur l’estrade avant de commencer à jouer. Sa ballade était plus douce, plus lente, et racontait l’histoire d’un jouvenceau qui rêvait du parfait amour mais craignait de ne jamais le trouver. Chaque couplet se terminait sur le jeune homme qui s’efforçait d’espérer et redoutait que cela ne serve à rien, puis la chanson s’acheva sur une tonalité mélancolique, très prenante.
Craignant de se mettre à pleurer, ce qui la mortifierait, Roslynn se leva abruptement.
— Si vous voulez bien m’excuser, sire, je souhaite me retirer.
Madoc rendit sa harpe au barde.
— Il est encore tôt. Vous ne vous sentez pas bien ?
Ce n’était pas la faute de son époux si elle était bouleversée. Il ne pouvait pas savoir l’effet que cette ballade produirait sur elle, de fait elle ne l’aurait pas deviné elle-même. Mais à présent, plus que jamais, elle souhaitait n’avoir jamais rencontré Wimarc. Ne jamais être tombée sous son charme, n’avoir jamais suppliépour l’épouser. Que ne donnerait-elle pas pour être une jeune mariée innocente, rêvant encore du parfait amour, sans erreurs passées ni choix stupides pour souiller cette nuit !
Ne sachant pas que dire, ni quelle explication elle pourrait donner sans fondre en larmes, elle se contenta de répondre :
— Je souhaite simplement me retirer. Ai-je votre permission ?
Plusieurs personnes se mirent à ricaner.
Les sourcils froncés, Madoc leur jeta un regard sévère avant d’acquiescer.
— Bien sûr.
Déterminée à se montrer digne, Roslynn garda la tête haute tandis qu’elle se dirigeait vers l’escalier. Mais
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