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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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Nous le tenions précieusement contre nous pour que personne ne nous le vole, et la plupart du temps, nous le cachions en le glissant dans les coutures de nos vêtements, car nos poches n’étaient pas suffisamment sûres. Ces tickets étaient synonymes pour nous de vie ou de mort. Pour chaque distribution de ration, nous faisions la queue pendant des heures devant ce que nous savions désormais être le Kino  : un litre de soupe claire et 300 grammes de pain. Quatre fois par semaine, nous avions 25 grammes de margarine, deux fois par semaine une cuillère de confiture ou de fromage blanc, et le dimanche 50 grammes de saucisson, qui nous faisaient rêver des jours à l’avance.
    Comme à Auschwitz, notre point de rencontre était les latrines – lieu où nous pouvions griller une cigarette et échanger les dernières nouvelles –, une cabane avec un grand récipient ouvert. Assis en équilibre sur le bord, nous ressemblions à des oiseaux sur un fil télégraphique et regardions si des chefs de blocs – qui seraient venus nous déranger – ne traînaient pas quelque part dans les parages. Par chance, les latrines étaient sur le périmètre de notre enclos, et si la nuit, en pleine obscurité, nous retrouvions notre chemin, nous pouvions y aller, ce qui n’était pas le cas des autres détenus, qui n’étaient autorisés à aller aux toilettes qu’à certaines heures réservées.
    Les points d’eau, où nous nous lavions, étaient des lieux moins appréciés. Le matin, ils étaient ouverts une demi-heure durant, mais l’eau était glacée et nous n’avions pas de serviettes. Cela n’empêchait pas les adolescents que nous étions, lorsque nous nous y retrouvions, de nous saluer à coups de grandes giclées d’eau froide, en disant : « Allez, les gars, réveillez-vous ! Vous voulez vivre, non ?! »
    Un jour, de façon tout à fait impromptue et inattendue, nous fûmes chassés au travail et conduits sur un site couvert de cailloux pour porter des pierres et aller les entasser cinq cents mètres plus loin.
    Le chemin, menant à la carrière, était encadré de gardiens. Naïvement, j’avais cru qu’ils étaient là pour nous raccompagner au camp, mais force fut de bientôt comprendre qu’ils étaient ici, parce qu’ils « avaient des choses à faire ». On avait l’impression que le ciel, ou la terre, les avait répartis en cinq groupes différents : le premier, pour nous hurler dessus et qu’on accélère le pas ; le second, pour nous agonir d’insultes, parce que nous n’avions pas pris de pierre assez lourde et que nous devions la rapporter pour en ramener une autre, plus grosse ; le troisième, pour s’amuser à nous frapper ; le quatrième, pour imaginer toutes sortes de « jeux », comme par exemple nous bander les yeux et nous ordonner d’avancer avec une pierre en équilibre sur la tête ; seul le cinquième et dernier groupe semblait inactif. Ces capotes grises, assises sous un arbre à cent mètres de là, le fusil en bandoulière, rêvassaient toute la journée et si l’un de nous approchait, ils tiraient.
    Le soir, en rentrant dans notre baraquement, j’étais couvert de bosses et d’ampoules, épuisé et déprimé. Une chose pourtant me gardait du désespoir : j’avais repéré les lieux, mémorisé l’inconnu, mystérieux et camouflé, qui terrifiait tout nouvel arrivant. Une fois que je savais où je mettais les pieds, je savais contre quoi je devais me battre.
    Sur le chemin conduisant au travail, j’observai et appris par cœur le plan des immenses casernements et villas des SS. Les casernes SS pouvaient compter jusqu’à 15 000 hommes. Mais ce n’était pas tout. Buchenwald semblait reproduire le modèle d’un Land , avec des parcs, des agglomérations idylliques, un zoo, une cage à ours, une fauconnerie, une salle d’équitation, une salle de concerts, et bien d’autres choses encore pour distraire ces Messieurs-de-la-race-des-seigneurs. Pour nous, les occupations prévues ne manquaient pas non plus : usines d’armement, fabriques où étaient produites des pièces pour les fusées V2, carrières de pierre.
    On nous avait dit que nous ne travaillerions que de façon transitoire. Les responsables étaient pourtant censés savoir que la longue route qui nous avait conduits des camps de l’est jusqu’ici, nous avait affaiblis. Tout cela n’était donc qu’un gros mensonge, comme celui de nous raconter que nous faisions partie des

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