Taï-pan
même ton assez sec, mais qui n’est guère pratique. Quant aux conférences des civils, comme vous dites, il est plus qu’heureux que les diplomates aient la vue longue. La guerre n’est après tout que le bras séculier de la diplomatie. Quand tout le reste a échoué.
— Et la diplomatie a échoué ici, s’exclama le général, alors plus vite nous envahirons la Chine pour y instaurer l’ordre et la loi anglaise, mieux ça vaudra.
— La diplomatie n’a pas échoué, mon cher général. Les négociations se poursuivent, avec prudence et bonheur. Ah ! au fait, il y a trois cents millions de Chinois en Chine.
— Notre baïonnette anglaise, monsieur, vaut mille lances indigènes. Dieu me damne, nous maîtrisons les Indes avec une poignée d’hommes et nous pouvons faire de même ici. Et voyez donc le profit que notre règne aux Indes a apporté à ces sauvages, hein ? Brandir le drapeau en force, voilà ce qui devrait être fait. Immédiatement.
— La Chine est une nation, dit Struan, et non pas une douzaine de pays, comme les Indes. On ne peut appliquer les mêmes principes, milord.
— Sans la maîtrise des mers, l’armée ne tiendrait pas les Indes pendant huit jours, s’écria l’amiral.
— Grotesque ! Nous…
— Messieurs, messieurs, soupira Longstaff, nous parlions des anarchistes. Quel est votre conseil, amiral ?
— Interdire l’île à tout Oriental. Si vous voulez des travailleurs, alors choisissez-en mille, deux mille – ce qu’il vous faut pour l’île – et rejetez les autres.
— Milord ?
— Je vous ai déjà donné mon opinion, Excellence.
— Ah ! oui. Monsieur Brock ?
— Je pense comme vous, Excellence, que Hong Kong est un port franc et que nous avons besoin des Chinois et que nous devons nous occuper nous-mêmes des Triangles. Je pense comme le général qu’il faut pendre tous ceux-là qui fomentent la rébellion. Et comme l’amiral, que nous ne voulons pas de trahison secrète contre l’empereur. Qu’on les mette hors la loi, oui. Et je pense comme toi, Dirk, que c’est pas légal de les pendre s’ils se tiennent bien paisibles. Mais tous ceux qui lèvent le petit doigt, et qu’on prend la main dans le sac de ces Triangles, qu’on les fouette, qu’on les marque au fer rouge et qu’on les jette dehors à jamais.
— Dirk ? demanda Longstaff.
— Je suis d’accord avec M. Brock, sauf pour le fouet et la marque au fer, qui sont des méthodes du Moyen Âge.
— D’après ce que j’ai pu voir de ces mécréants, grommela le général, ils en sont encore au Moyen Âge. Il est naturel qu’ils soient punis s’ils appartiennent à une société interdite. Le fouet est un châtiment normal. Cinquante coups. Et la marque au fer sur la joue est le châtiment anglais légal pour certains délits. Qu’on les marque. Mais mieux vaut encore pendre haut et court la première douzaine qu’on attrapera et ils s’évaporeront comme des derviches.
— C’est ça, marquez-les définitivement, tempêta Struan, et vous leur ôtez toute chance de jamais redevenir bons citoyens !
— Les bons citoyens ne forment pas des sociétés secrètes anarchistes, mon brave homme, rétorqua le général. Mais il est évident que seul un gentilhomme peut le comprendre. »
Struan sentit le rouge lui monter aux joues.
« La prochaine fois que vous ferez une réflexion de ce genre, milord, je vous enverrai mes témoins et vous vous découvrirez une balle entre les deux yeux ! »
Le silence tomba, un silence atterré. Blême de stupeur, Longstaff frappa la table du poing.
« Je vous interdis, à tous les deux, de poursuivre sur ce ton ! C’est interdit ! »
Il prit son mouchoir brodé pour éponger la sueur froide qui perlait à son front.
« Tout à fait de votre avis, Excellence, dit le général. Et je suggère en outre que ce problème soit uniquement résolu par les autorités, c’est-à-dire vous-même, l’amiral et moi. Ce n’est pas du ressort des… des boutiquiers.
— Vous êtes si plein de vent, milord général, s’écria Brock, que si vous pétiez ici à Canton, ça ferait sauter les portes de la Tour de Londres !
— Monsieur Brock ! glapit Longstaff, vous ne… »
Le général se dressa d’un bond.
« Je vous serais obligé, mon brave, de garder ce genre de réflexion pour vous !
— Je ne suis pas votre brave. Je suis marchand de Chine, nom de dieu, et plus vite vous le saurez mieux ça vaudra. Les
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