Taï-pan
l’humour. L’étalon a pris le mors . Hum. Percheron serait plus juste.
« Non, monsieur, répliqua Skinner. Je ferais peut-être bien de le lire moi-même tout haut. »
Sur quoi, il lut presque mot pour mot ce que Sir Charles Crosse avait écrit, ce que Struan avait dit à Blore de souffler secrètement à l’oreille de Skinner. Struan avait jugé que Skinner était le mieux placé pour donner un coup de fouet aux marchands et les pousser à une colère telle que tous, chacun à sa façon, refuseraient de laisser périr Hong Kong, qu’ils s’agiteraient comme ils s’étaient tellement démenés, pendant si longtemps, pour réussir enfin à vaincre la Compagnie des Indes.
« Je n’en crois pas un mot, dit-il.
— Je crois que peut-être vous avez tort, Taï-pan, répondit Skinner et il vida son verre. Je peux ?
— Bien sûr. Ramenez donc la carafe, ça vous évitera de vous déranger. Qui vous a donné ce renseignement ?
— Je ne puis vous le dire.
— Même si j’insiste ?
— Même. Cela mettrait fin à ma carrière de journaliste. Une question d’éthique, qui est très importante. »
Struan voulut le mettre à l’épreuve.
« Un journaliste doit avoir un journal.
— Très juste. Alors c’est un risque que je cours, un coup de dés que je jette, en m’adressant à vous. Mais si vous le présentez comme ça, je ne vous le dirais quand même pas.
— Êtes-vous sûr que c’est vrai ?
— Sûr, non. Mais je le crois.
— La dépêche est datée de quand ?
— Du 27 avril.
— Et, sérieusement, vous croyez qu’elle aurait pu arriver si vite ? Ridicule !
— Je pense de même. Mais je persiste à croire que le renseignement est exact.
— Dans ce cas, nous sommes tous ruinés.
— Probablement.
— Pas probablement. Certainement.
— Vous oubliez le pouvoir de la presse et la puissance collective des marchands.
— Nous n’avons aucun pouvoir contre le ministre des Affaires étrangères. Et le temps joue contre nous. Allez-vous publier ça ?
— Oui. Au moment choisi. »
Struan fit tourner son verre entre ses doigts et regarda la lumière jouer sur le cristal taillé.
« Je pense que lorsque vous ferez ça, vous déclencherez une panique monumentale. Et Longstaff vous écrasera très proprement.
— Je ne m’inquiète pas de ça, monsieur Struan. »
Skinner était perplexe ; Struan n’avait pas les réactions qu’il avait attendues. À moins que le Taï-pan ne fût déjà au courant, se dit-il pour la centième fois. Mais il n’aurait aucun intérêt à m’envoyer Blore. Blore est arrivé il y a huit jours – et cette semaine le Taï-pan a investi des milliers et des milliers de taels à Hong Kong. Ce serait le geste d’un fou. Alors de qui Blore est-il le messager ? De Brock ? Peu probable. Il dépense aussi largement que Struan. Ce soit être l’amiral, ou le général ou Monsey. Monsey ! Qui d’autre que Monsey a des relations en haut lieu ? Qui d’autre que Monsey hait Longstaff et guigne son poste ? Qui d’autre que Monsey est intéressé à ce point par la réussite de Hong Kong ? Car sans un Hong Kong prospère, Monsey n’a aucun avenir dans le corps diplomatique.
« On dirait que Hong Kong est mort. Tout l’argent et tous les efforts que vous avez consacrés, que nous avons tous consacrés à Hong Kong auront été vains.
— Hong Kong ne peut pas être fini. Sans l’île, tous les futurs ports que nous aurons sur le continent ne serviront à rien.
— Je sais. Nous le savons tous.
— Sûr. Mais le ministre pense autrement. Pourquoi ? Je me demande pourquoi. Et que pourrions-nous faire ? Comment le convaincre ? Hein ? »
Skinner était un partisan de Hong Kong aussi fervent que Struan. Sans Hong Kong, il n’y aurait pas de Noble Maison, et sans la Noble Maison, pas d’ Oriental Times hebdomadaire, et plus de situation.
« Peut-être n’aurons-nous pas à convaincre ce bougre, dit-il, le regard aigu.
— Hé ?
— Ce bougre ne sera pas toujours au pouvoir. »
L’intérêt de Struan s’éveilla. C’était une nouvelle perspective inattendue. Skinner était un lecteur vorace de tous les journaux et périodiques et un des hommes les mieux informés des affaires politiques « publiées ». En même temps – avec une mémoire extraordinaire et un intérêt très vif – Skinner avait de multiples sources d’information.
« Vous croyez qu’il y a une chance que le gouvernement
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