Taï-pan
Dieu !
— Tu es fou !
— Vous l’avez caché, bon Dieu ! Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi, nom de Dieu !
— Culum n’a pas la vérole ! Qui le dit ?
— Tout le monde le sait. Il a été au quartier chinois. Vous le saviez et c’est pour ça qu’il est parti – avant que ça se voie trop ! »
Struan fit passer le fouet dans sa main droite.
« Lâchez-le, les amis. »
Tout le monde recula. Gorth dégaina son couteau et se prépara à l’assaut, mais un couteau apparut comme par magie dans la main gauche du Taï-pan.
Gorth feinta, mais Struan resta de marbre et laissa voir un instant à Gorth la soif de meurtre qui le dévorait. Et sa joie. Gorth s’immobilisa, hésita, ses sens sonnant l’alarme.
« Ce n’est pas un lieu pour se battre, dit Struan. Ce n’est pas moi qui ai voulu ce duel. Mais il n’y a rien que je puisse faire. Horatio, voulez-vous être mon témoin ?
— Oui. Oui, bien sûr. »
La conscience d’Horatio le tourmentait, parce qu’il s’était occupé de l’affaire des graines de thé pour Longstaff. Est-ce ainsi que tu le repaies d’une vie entière de soutien et d’amitié ? Le Taï-pan t’a fait prévenir de la maladie de Mary et il a envoyé un lorcha pour te conduire à Macao. Il a été un père pour toi et pour elle, et maintenant tu lui plantes un couteau dans le dos. Oui… mais tu n’es rien pour lui. Tu ne fais que détruire quelque chose de maudit. Si tu y réussis, cela compensera ta propre malédiction quand tu te trouveras devant Dieu…
« Je serais honoré d’être votre second témoin, Taï-pan, dit Masterson.
— Si vous voulez venir avec moi, messieurs. »
Struan essuya le filet de sang sur sa figure et se dirigea vers la porte.
Gorth avait retrouvé son assurance confiante.
« Vous êtes mort ! hurla-t-il. Faites vite, fumier de chien ! »
Struan ne se retourna pas. Il sortit du club et une fois dehors il dit à ses témoins :
« Je choisis le fer de combat.
— Dieu de Dieu, Taï-pan, s’écria Horatio. Ce n’est pas très… Ça ne s’est jamais vu ! Et puis vous… il est jeune et très fort et vous venez de passer une semaine harassante et…
— Tout à fait d’accord, intervint Masterson. Une balle entre les deux yeux. Que oui, Taï-pan. Ce serait plus sage.
— Retournez lui annoncer mon choix des armes. Ne discutez pas. Ma décision est prise.
— Où… où voulez-vous que… ma foi, il faut sûrement agir discrètement, n’est-ce pas ? Les Portugais tenteraient peut-être de vous en empêcher ?
— Sûr. Louez une jonque. Vous deux, moi, Gorth et ses témoins, nous partirons à l’aube. Je veux des témoins et un duel régulier. Il y a bien assez de place sur le pont d’une jonque. »
Et je ne te tuerai pas, Gorth, exultait Struan. Non, oh ! non, ce serait trop facile. Mais par Dieu, à partir de demain tu ne marcheras plus, tu ne mangeras plus tout seul, tu ne verras plus, tu ne coucheras plus avec une fille, jamais. Je m’en vais te montrer ce que c’est que la vengeance !
Le soir venu, la nouvelle du duel était sur toutes les lèvres, volant de bouche en bouche, et les paris commencèrent. Beaucoup misaient sur Gorth : il était dans la force de l’âge et, après tout, il avait de bonnes raisons de porter un défi au Taï-pan si c’était vrai ce qu’on racontait, que Culum avait attrapé la vérole et que, le sachant, le Taï-pan l’avait envoyé en mer avec Tess pour qu’un capitaine les marie au-delà des eaux territoriales.
Ceux qui misaient sur le Taï-pan le faisaient parce qu’ils espéraient, sans le croire, qu’il gagnerait. Tout le monde était au courant de son attente fébrile du cinchona et savait que sa mystérieuse maîtresse agonisait. Tout le monde pouvait voir qu’il ne dormait pas depuis huit jours, et qu’il était épuisé. Seuls, Lo Chum, Ah Sam et Yin-hsi avaient emprunté tout ce qu’ils pouvaient pour miser avec confiance sur le Taï-pan et faire des pétitions aux dieux afin qu’ils le protègent. Sans le Taï-pan, ils étaient perdus, de toute manière.
Personne ne parla du duel à May-may. Struan la quitta de bonne heure et retourna chez lui. Il voulait passer une bonne nuit. Le duel ne l’inquiétait pas, il était sûr de pouvoir résister à Gorth. Mais il ne tenait pas à se faire mutiler dans cette affaire et il savait qu’il lui faudrait être très rapide et très puissant.
Calmement, il marcha dans les rues paisibles,
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