Tarik ou la conquête d'Allah
fils Galindo ainsi
que Musa Ibn Fortun Ibn Kasi s’enfuirent. Avant de partir, ce dernier chargea
Harith Ibn Bazi du soin de plaider sa cause auprès du souverain et Abd
al-Rahman ; se souvenant de leur lointaine amitié et conscient surtout que
son ennemi possédait plusieurs places fortes dans la région frontalière de
Sarakusta, il lui accorda son pardon et le rétablit dans ses fonctions de wali.
Le gouverneur d’al-Ushbuna était un
homme heureux. D’origine modeste, Wahb Allah Ibn Hazm avait longtemps travaillé
comme greffier au Dar al-Imara jusqu’à ce que son supérieur, un Nazaréen, lui
ordonne un jour de se rendre auprès de l’émir pour dénoncer les agissements
d’un wali, soupçonné par le palais d’avoir détourné une somme qui lui avait été
confiée pour racheter des captifs musulmans. Démis de ses fonctions, l’homme
entendait demander une forte réparation financière pour ce qu’il appelait une
atteinte intolérable à son honneur. Ses amis haut placés n’avaient pas hésité à
user de menaces contre les fonctionnaires chargés d’instruire ce dossier.
D’accusateur, le chef du greffier s’était retrouvé en position d’accusé et ses
ennemis avaient, en outre, eu l’outrecuidance de réclamer au Trésor public le
paiement d’amendes fictives qu’ils prétendaient avoir été obligés de verser.
Abd al-Rahman fut agréablement surpris par la clarté des explications de son
serviteur et par l’habileté de la solution qu’il proposait pour faire cesser un
scandale éclaboussant des proches du souverain.
L’émir estima qu’un fonctionnaire
aussi compétent avait mieux à faire qu’à enregistrer les verdicts rendus par
ses tribunaux et l’interrogea longuement pour éprouver ses capacités et sa
fidélité. Quelques semaines plus tard, Wahb Allah Ibn Hazm reçut l’ordre de se
présenter, séance tenante, devant l’un des principaux commandants de l’armée et
apprit sa promotion comme wali d’al-Ushbuna.
C’est ainsi que le greffier était
devenu gouverneur. Il s’était attelé avec ténacité à la mission qui lui avait
été confiée. Il avait restauré les murailles de la ville, édifié sur une
colline, dotée de plusieurs sources d’eau, une forteresse réputée imprenable,
et avait fait construire un port sur les bords de l’estuaire. De nombreux navires
venaient désormais s’y ravitailler avant de remonter le fleuve jusqu’à
Tulaitula, d’où leurs cargaisons étaient acheminées en chariots vers Kurtuba et
les autres villes du pays. Les taxes exigées étaient raisonnables et le wali
avait fait signer aux marchands désireux de s’installer dans sa ville une
charte par laquelle ils s’engageaient à respecter les prix fixés par lui.
Menacés de ruine, les marchands de Kadis avaient été contraints de réviser à la
baisse leurs tarifs et les marchés d’Ishbaniyah regorgeaient maintenant de
produits accessibles au plus grand nombre et non à une poignée de coquins
faisant étalage insolemment de leur luxe.
En ce matin du 1 er dhu-I-hidjdja 229 [105] le gouverneur s’était levé très tôt. Il voulait profiter de la fraîcheur de l’aube
pour travailler jusqu’à ce que la chaleur estivale le contraigne à cesser toute
activité. Le soir une brise légère venue de la mer réveillait alors la cité de
sa torpeur. Regardant distraitement la terrasse sur laquelle donnait la pièce
où il se tenait habituellement, il fut saisi de terreur. À travers la brume qui
se levait, il aperçut au loin plusieurs dizaines de navires équipés de voiles
blanches ou multicolores qui ne ressemblaient en rien aux bateaux jetant
l’ancre habituellement dans le port. Il fit immédiatement appeler l’intendant
qui se présenta devant lui en tremblant de tous ses membres. La graisse de son
triple menton oscillait de droite à gauche et de gauche à droite. Wahb Allah
Ibn Hazm l’interrogea :
— Sais-tu si les marchands
attendent une flotte en provenance de Tingis ou d’Alexandrie ?
— À ma connaissance, non. Tu
n’ignores pas qu’ils cultivent le secret et se gardent bien de me prévenir trop
longtemps à l’avance de l’arrivée de leurs convois. Ils en sont d’ailleurs
incapables. La mer est capricieuse et une simple tempête suffit à faire
dérouter une flotte. Je les ai rencontrés hier et ils se sont plaints amèrement
d’avoir dû donner plusieurs jours de congés à leurs ouvriers, faute de travail.
Ceux-ci étaient
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