Tarik ou la conquête d'Allah
l’ambassadeur byzantin. Des marchands francs, de
passage à Kurtuba, furent interrogés à ce sujet et confirmèrent que c’étaient
sans doute ces « Normands » qui sévissaient également en Ifrandja.
Ils apprirent d’ailleurs à l’émir que, parmi les Muets qui composaient sa garde
personnelle, se trouvaient – ils n’avaient pas eu de peine à les
identifier – certains de ces pirates capturés en Ifrandja et vendus comme
esclaves. Ceux-ci furent immédiatement conduits devant Abd al-Rahman qui, par
l’intermédiaire d’un interprète, les questionna longuement. Visiblement fier de
ce que leurs parents aient pu atteindre les côtes d’Ishbaniyah – peut-être
avaient-ils agi pour les délivrer – l’un d’entre eux, en échange de sa
liberté, consentit à décrire les mœurs de son peuple.
Ils aimaient la guerre plus que
toute autre chose au monde et partaient en expédition à bord de longs bateaux
pouvant contenir jusqu’à soixante hommes, dont trente-deux rameurs, des bateaux
appelés knorr, protégés de chaque côté par deux rangées de boucliers, et
si maniables qu’ils pouvaient naviguer aussi bien en haute mer que sur les
rivières et accoster partout où ils le souhaitaient. L’informateur, un jarl, un « noble », avait eu sous ses ordres des bondis, des
« hommes libres », dont les plus valeureux étaient connus sous le nom
de beraekirs, « tuniques d’ours », et réputés pour partir à la
bataille ivres de bière. Questionné sur le sort que les siens réservaient aux
populations qu’ils attaquaient, il expliqua en riant que les femmes et les
enfants étaient pris comme esclaves et que les autres étaient massacrés ou
sacrifiés en offrande aux dieux Thor et Wotan, voire mis à cuire dans d’énormes
chaudrons puis consommés comme une viande de choix. Pour justifier la fureur
guerrière de ses frères, il cita un poème de son pays : « La richesse
meurt, l’homme meurt aussi. Je sais une seule chose qui ne meurt jamais, la
réputation d’un homme mort. » Il ajouta que ses semblables ne se
contenteraient pas de leur attaque contre al-Ushbuna, mais chercheraient à
piller d’autres cités, quitte à devoir passer la mauvaise saison dans un lieu
retiré avant de repartir, dès les premiers beaux jours, chez eux, avec leur
butin et leurs captifs.
Devant cette menace, Abd al-Rahman
décida d’employer les grands moyens. Pour la première fois dans l’histoire de
l’Ishbaniyah, il décréta Vis tin far, la levée en masse de tous les
combattants. Les gouverneurs reçurent l’ordre de renforcer leurs garnisons et
d’envoyer à Kurtuba tous les cavaliers arabes et berbères vivant dans leurs
provinces. Plusieurs milliers d’hommes furent placés sous les ordres des
généraux Abdallah Ibn Kulaib Ibn Thalaba, Mohammed Ibn Rustum et Abd al-Wahid
al-Iskandarani, lesquels devaient suivre les consignes données par le
représentant personnel de l’émir, l’eunuque al-Nasr, auquel ils devaient
obéissance absolue.
La sinistre prédiction du garde
affranchi en échange de sa liberté se réalisa. Les Urdamniniyum, après avoir
occupé et ravagé Kadis, remontèrent le Wadi al-Kebir et s’installèrent, le 12
muharram 230 [107] dans une île formée par les deux bras du fleuve, à proximité d’Ishbiliya. Le
gouverneur, terrorisé, s’enfuit à Karmuna, abandonnant à leur triste sort ses
administrés. La troisième ville du royaume fut envahie quelques jours plus tard
et pillée de fond en comble. Tous les hommes, vieillards et infirmes compris,
furent exécutés dans une mosquée connue dès lors sous le nom de majsdid
al-Shuhada, « Mosquée des Martyrs », tandis que les femmes
étaient violées et réduites en esclavage tout comme leurs enfants en âge de
travailler. Les plus jeunes étaient au mieux noyés, au pire offerts en
sacrifice aux divinités de ces païens. Des épouses furent torturées pour avouer
où leurs maris avaient dissimulé leurs richesses et leurs fils tués si elles
refusaient d’indiquer les cachettes.
Quelques fugitifs parvinrent à
gagner Kurtuba et une véritable panique s’empara de la capitale. Musulmans,
Juifs et Chrétiens avaient tous de la famille à Ishbiliya. Le chef de la
communauté juive de Kurtuba apprit ainsi que sa fille unique, mariée à un
lointain descendant de ce Samuel qui avait jadis aidé Tarik Ibn Zyad à
s’emparer du pays, avait trouvé la mort. Des principaux protagonistes de
l’aventure
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