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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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escalier. Et deux fois par jour, il faisait l’effort d’un détour par la rue Fleurie, afin de s’arrêter à la chapelle des Servantes du Saint-Sacrement.
    Pour une prière et une petite méditation, vingt minutes suffisaient amplement. Il consacrait donc quarante minutes par jour à ses deux visites.
    Ce lundi de la mi-novembre, le garçon remarqua une activité inhabituelle dans la Basse-Ville. Des hommes dans la force de l’âge envahissaient les trottoirs et les rues, rendant difficile la circulation des piétons et des automobiles.
    Les policiers, plus nombreux qu’à l’habitude, tentaient de convaincre tout ce monde de rentrer chez soi en haussant la voix et en agitant leur matraque. Cette agitation l’obligea à faire quelques détours pour atteindre la rue Grant.
    — Que se passe-t-il ? demanda-t-il en entrant dans la maison.
    Sa mère se trouvait devant l’évier, dans la cuisine, occupée à préparer le repas. Elle répondit sans se retourner :
    — Les travailleurs des plus grosses manufactures de chaussures sont en grève.
    — Mais ce sont des membres des syndicats catholiques.
    Aux yeux de ce garçon pieux, cela frisait l’hérésie. Ces organisations devaient préserver la paix sociale, non pas se révolter contre l’ordre établi.
    — Les salauds de patrons ont décidé de réduire les salaires, remarqua Germaine, sa sœur aînée. Certains ouvriers auront vingt pour cent de moins dans leur enveloppe du samedi. C’est inacceptable.
    La jeune femme, accoudée à la table familiale, parcourait les pages du Soleil. Raymond songea à l’admonester pour ses mauvaises lectures car malgré des efforts répétés, les sages recommandations de monseigneur Buteau pénétraient bien lentement dans cette maison. Et bien sûr, à lire ce torchon, la jeune femme professait des idées «avancées».
    — Les propriétaires ont sans doute de bonnes raisons commerciales, opposa Raymond. Cela ne leur fait certainement pas plaisir.
    — Les pauvres, ricana son interlocutrice. Ils roulent dans de grosses voitures, habitent de grandes maisons, boivent le meilleur whisky, mais ils sont forcés de baisser les gages de tout le monde.
    — Les patrons catholiques sont des gens de bien, utiles à la communauté. Prends le tien, Georges Elie Amyot. Il vient de donner cent mille dollars pour la création d’une école de chimie affiliée à l’Université Laval.

    — Oh ! Tu devrais mettre sa photo sur le mur de ta chambre, entre celles de la Vierge et de saint Joseph.
    Pendant ce temps, moi, je touche moins de deux dollars pour une journée de dix heures de travail sur une machine à coudre. Et une partie de cet argent sert à payer les études d’un futur prêtre.
    Les deux jeunes filles de la maison évoquaient rarement cette situation. Leurs gages couvraient en partie les frais de scolarité du cadet. La mauvaise humeur de l’ouvrière tenait à sa crainte de voir son propre employeur suivre l’exemple de ses voisins. Ce genre de décision semblait aussi contagieux que la grippe espagnole. Dans ce contexte, difficile pour elle de faire un bon
    accueil
    aux
    arguments
    d’un
    garçon
    totalement étranger à la vie réelle.
    — Germaine, viens m’aider avec les patates, intervint sa mère.
    Ainsi, la fille devait alourdir sa longue journée de travail avec des corvées ménagères. Le garçon monta pour rédiger des vers en latin dans sa chambre.

    *****
    Avant d’aller au lit, Raymond se permettait une dernière visite à l’église, les jours de beau temps. Ce soir-là, il constata
    une
    affluence
    inhabituelle,
    composée
    très
    majoritairement de femmes. Ces ménagères craignaient de voir la grève se prolonger à l’approche de la mauvaise saison. Pour la plupart, cela pouvait signifier la famine.
    Comme à son habitude, pour être plus près des saintes espèces, le jeune homme s’agenouilla à la sainte table en face de l’autel. Sa méditation pieuse ne l’absorbait pas au point de rater le plus infime mouvement de soutane dans son champ de vision. Un vicaire, celui prénommé Joseph, apparut brièvement au fond du chœur.
    Le séminariste quitta prestement son lieu de prière pour atteindre la porte donnant accès à la sacristie, sur la gauche.
    — Monsieur l’abbé, commença-t-il d’entrée de jeu, vous avez vu tous ces grévistes, dehors ?
    — Comme tout le monde qui est passé aujourd’hui dans la Basse-Ville, j’ai vu ces gens.
    — ... Vous savez ce qui se passe,

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