Thalie et les âmes d'élite

exactement?
    L’autre esquissa un petit sourire devant cette candeur.
    — Comme tu le sais, je suis l’aumônier des cordonniers machinistes. Alors oui, je suis bien informé des événements.
    — Cette initiative me paraît un peu... dangereuse. Les unions catholiques en grève! C’est... sacrilège.
    — Quel jugement téméraire ! Te voilà donc spécialiste du droit canon. Un syndicat sert à défendre les travailleurs.
    — Mais la doctrine sociale catholique...
    — Vas-tu me donner une leçon sur la doctrine sociale de l’Eglise, maintenant?
    L’ironie incita le séminariste à un peu plus de modestie.
    — Selon l’abbé Renaud, mon professeur, elle doit permettre de conserver la bonne entente entre les patrons et les ouvriers. Alors la grève...
    — Déjà, il y a quelques années, quand nous fréquentions le Petit Séminaire, Renaud simplifiait un peu les choses. Ce n’est pas faux. Mais en même temps, c’est un peu plus compliqué que cela. Les travailleurs doivent respecter le droit de propriété, fournir une honnête journée de travail...
    — Et là, ils encombrent plutôt les rues...
    Son interlocuteur laissa échapper un soupir de lassitude.
    Il n’enviait pas à Buteau la direction spirituelle de cet esprit obtus.
    — Les patrons, de leur côté, doivent accorder un salaire familial à leurs employés, c’est-à-dire capable de faire vivre une femme et des enfants dans la dignité. Tu crois que ces pères de famille y arriveront avec un cinquième de leurs gages en moins ?
    — Je ne sais pas...
    — Crois-tu que ton père y arriverait, lui ? Sais-tu combien il gagne*? Ce que lui coûte la nourriture d’une semaine ?
    Raymond secoua la tête de droite à gauche. Son obsession religieuse lui masquait toutes les réalités désagréables de l’existence.
    — Donc, cette grève n’est pas un péché ?
    — Demain matin, tout le monde reprendra son travail. À
    l’heure du souper, l’association patronale a accepté de soumettre la question des coupures de salaire à l’arbitrage.
    — Donc, c’est déjà réglé ?
    «Décidément, ce dadais ne veut rien comprendre», songea l’abbé.
    — Dans les jours à venir, monseigneur Joseph-Alfred Langlois se penchera sur cette question et rendra une sentence arbitrale sur les salaires. Nous verrons comment les choses tourneront à ce moment.
    Le vicaire fit semblant de s’absorber dans le contenu d’une armoire. Le garçon comprit finalement le message et formula : « Bonsoir, monsieur l’abbé ». Recevant un grognement inintelligible en guise de réponse, il sortit par une porte latérale. Novembre maintenait son emprise. Le froid, la pluie et la pénombre faisaient penser à un ensevelissement.
    Réprimant un frisson, il serra le col de son uniforme scolaire contre son cou.

Chapitre 18

    La vie des étudiants du cours classique obéissait à une morne routine. Aux leçons de la matinée succédait une période d’étude, puis une courte récréation précédait le repas du midi. Une autre, plus longue, venait ensuite. Ayant satisfait leur besoin de bouger, tous ces garçons réintégraient leurs classes. Pour les internes et quelques externes un peu zélés, une autre période d’étude suivait à quatre heures.
    Agés entre douze et vingt ans, ces jeunes gens devaient brimer leurs besoins de rire et de bouger pendant toutes ces heures. Ils devaient plutôt assimiler des œuvres d’auteurs latins et des réflexions de philosophes morts depuis des siècles.
    A la récréation du midi, cette horde cherchait à dépenser son énergie, afin de pouvoir se contraindre à la station assise pendant au moins trois bonnes heures encore. Bien sûr, certains fuyaient cette agitation, parfois de crainte d’un mauvais coup, ou parce qu’ils préféraient se complaire dans des conversations menées deux à deux. Depuis quelques jours, Raymond Lavallée comptait parmi ceux-là.
    — Hé ! Les tourtereaux, là-bas, cria une voix en imitant le vieil abbé Verville.
    Ce dernier était habituellement chargé de surveiller les jeunes gens afin de mener une lutte sans merci contre les amitiés particulières.
    — Voilà deux semaines que l’on vous voit ensemble ! continua l’écolier.

    Le garçon de la paroisse Saint-Roch se montra surpris. Si Jacques
    Létourneau
    glissait
    parfois
    des
    remarques
    assassines à son intention, jamais il ne le prenait à partie de cette façon. Bien sûr, son engouement pour un jeune écolier de Syntaxe