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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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condisciples.
    — Notre ami est mort hier. Depuis l’accident de samedi midi, il n’a jamais repris connaissance. Il y a tout juste vingt-quatre heures, son âme s’est envolée.
    Tous les journaux relateraient l’événement avec des mots très semblables à ceux du professeur de la classe de Belles-Lettres.
    — C’est pour cela que nous, vos maîtres ou vos curés, vous exhortons à vous confesser souvent. Nul ne sait le lieu, nul ne sait l’heure où il se retrouvera devant son Créateur pour son jugement ultime. Un seul péché grave, pour lequel vous n’aurez pas reçu l’absolution, et vous mériterez la damnation éternelle.

    L’ecclésiastique s’arrêta, le temps de laisser ses paroles s’enfoncer dans les esprits de ses élèves.
    — Aussi, ce matin nous allons lire ensemble La Préparation à la mort de saint Alphonse de Liguori. Cette lecture remplacera avantageusement les cours au programme d’aujourd’hui. À midi, pendant la grande récréation, tous mes collègues et moi serons à votre disposition pour la confession.
    Dans une classe d’adolescents déjà assommés par la perte d’un camarade, le bon abbé entama sa lecture lugubre.
    Même si le saint spécialiste de la «bonne mort» avait reçu à huit reprises les derniers sacrements avant de se décider à faire le saut vers l’éternité, son décès était survenu à un âge canonique.
    Les images de corps en décomposition occupèrent les esprits pendant plus de deux heures. La leçon se termina par une invitation à la méditation durant la période d’étude prévue ensuite à l’horaire. Raymond prit au pied de la lettre la recommandation de son maître et il commença à jeter des mots sur une feuille de papier :
    — Il était une perle pour sa classe... Dieu est venu le chercher... Plein de vie, heureux de ses succès... Il y a deux jours, il jouait avec ses camarades, jouissant d’une excellente santé, et aujourd’hui il est déjà passé au tribunal de Dieu !
    C’est un avertissement du ciel. Pourquoi lui, et pas moi ?
    Au fond, tout cet émoi, pour l’abbé Renaud comme pour tous les autres, tenait à cette simple question. Dans l’absurde loterie de la vie et de la mort, certains devenaient nonagénaires comme l’homme à l’imagination morbide dont ils avaient lu des écrits toute la matinée. D’autres s’effondraient à seize ans, touchés en pleine course par le doigt de Dieu.

    *****
En sortant pour la récréation, Jacques Létourneau s’efforça de se rendre à la hauteur de son camarade de la paroisse Saint-Roch.
    — Je ne me moquerai plus jamais de toi, je te le jure.
    — Je n’ai pas fait exprès de le frapper, plaida le garçon d’une voix plaintive.
    — Je sais bien. Il courait, puis il s’est arrêté tout à coup.
    Jacques mima la scène comme il se la rappelait, debout dans une étrange posture, la bouche ouverte.
    — Puis il s’est étalé devant toi quand tu l’as heurté dans ta course.
    — Je n’ai pas fait exprès, répéta Raymond.
    — Personne ne t’a accusé de rien. Tout de même, je ne me moquerai plus. Cela ne paraît pas porter bonheur.
    Lui aussi se posait la même question, le fameux « Pourquoi ? »
    Pour conjurer le sort, il cherchait à ajuster son comportement.

    *****
    Chez les éducateurs, saisir toutes les occasions de former les jeunes esprits devenait un réflexe naturel. Organiser la chapelle ardente dans les murs du Petit Séminaire figurait à leurs yeux parmi les moyens pédagogiques légitimes.
    Pourquoi les parents Letendre acceptaient-ils de partager leur douleur de cette façon ? Leur motivation semblait bien mystérieuse. Le corps se trouva toute la journée du mardi au milieu de la salle de classe. Les membres de la chorale de l’établissement enchaînèrent les hymnes religieux les uns après les autres, au fil des heures. Tous les élèves, regroupés selon leur classe, se tinrent au garde-à-vous, une petite
    armée
    de
    plusieurs
    centaines
    de
    visages
    attristés.
    Raymond Lavallée, au premier rang de la classe de Belles-Lettres, se tint debout pendant des heures devant le père, la mère, les frères et les sœurs du défunt. Ces gens, tout à leur malheur, avaient droit à des chaises. Des amis, des parents, des connaissances proches ou éloignées défilaient devant eux avec des mines désolées. Certains poussaient le zèle jusqu’à
    s’arrêter
    devant
    les
    séminaristes.
    L’adolescent, à son grand désarroi, se vit

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