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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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nous ont pas permis de bien nous connaître, je me suis un peu repris au cours de mon année de cléricature chez Fernand... Vous allez bien, madame Dupire ?
    La voix contenait une bonne dose de dérision. Pendant cette période, le jeune diplômé avait partagé de nombreux repas avec la famille. Il en gardait le souvenir d’une tension lourde, sans doute très malsaine pour les enfants.
    — Je vais bien. Votre femme doit arriver bien près de son terme.
    Les deux familles se croisaient sur le parvis de l’église Saint-Dominique tous les dimanches. Avec son dandinement de canard, Flavie ne pouvait songer à dissimuler le stade de sa grossesse.
    — A en juger par son tour de taille, si elle n’accouche pas bientôt, nous aurons des jumeaux.
    Quand tout le monde occupa son siège, Jules Deschênes commença :
    — Je vous ai préparé les états financiers.
    Il en distribua les copiés, chacune comptant une dizaine de pages agrafées.
    — Comme vous pouvez le constater, 1925 a été une excellente année. Regardez au bas de la première page.
    Mathieu apprécia le montant des profits annuels. Pour connaître sa part, il divisa le montant par trois. Il supputa ensuite le nombre d’années nécessaires, à ce rythme, pour venir à bout de la dette contractée en octobre dernier.
    — Maintenant, continua le comptable, si vous tournez à la page suivante...
    Pendant une bonne heure, d’une voix lassante, l’homme aligna les chiffres, évoquant le coût de la main-d’œuvre, l’entretien de la bâtisse, les taxes municipales et la part des chefs des rayons. A la fin, Eugénie montra qu’elle s’y connaissait plutôt bien en la matière :
    — Edouard, c’est bien ta rémunération, ici ?

    Elle se penchait vers lui, l’index posé sur une ligne des états financiers.
    — Oui, à titre de directeur général du commerce.
    — Tu ne te prives de rien. Cela représente plus que le salaire d’un ministre.
    — Diriger ce magasin prend plus de temps et plus de compétence que n’en demande un département du gouvernement provincial, je t’assure.
    — Tu m’en diras tant. Je comprends maintenant pourquoi les nouvelles automobiles se succèdent dans ta cour.
    Penché sur les chiffres, Mathieu sourit. Lui aussi trouvait le salaire un peu élevé. D’un autre côté, comme les profits se trouvaient au rendez-vous, l’homme devait faire un bon travail. Quelques minutes plus tard, Deschênes arrivait au terme de son exposé.
    — Vous avez des questions pour moi ?
    Edouard n’en avait pas, puisque ces chiffres lui étaient familiers depuis dix jours. Eugénie avait eu son petit effet en parlant de la rémunération de son frère. Cela lui suffisait.
    Mathieu demeurait le seul susceptible de prolonger indûment la soirée.
    — Non, je n’ai pas de question, dit-il finalement. Tout cela me convient très bien. Merci, monsieur Deschênes.
    Ne voulant pas être en reste, Edouard réitéra les remerciements. Tout le monde retrouva son paletot et ses couvre-chaussures. Quelques minutes plus tard, le directeur général se tenait de nouveau à la porte arrière, son trousseau de clés à la main. Après l’échange des poignées de main, Deschênes et Mathieu se perdirent dans la nuit. Songeur, le second marcha dans la rue Desfossés pour aller prendre le tramway.
    Si les choses continuaient de cette façon, son initiative d’acheter la part d’Elisabeth se révélerait très rentable. Mais si une crise soudaine survenait, tout pouvait se dégrader très vite.
    — Une crise ! prononça-t-il à mi-voix. Je deviens aussi inquiet que Flavie. Toute la province semble devenir un grand chantier.
    Dans la cour arrière du magasin PICARD, le marchand ouvrit la porte du passager de son automobile à sa sœur.
    Quand il démarra, Eugénie commenta :
    — Tu aurais pu lui offrir de le reconduire. Il habite à deux pas de chez toi.
    — Si un jour je songe à devenir chauffeur de taxi, j’y verrai.
    — Alors, j’ai eu de la chance de ne pas rentrer à pied.
    — Mais toi, tu es ma sœur.
    L’allusion à son lien de parenté lui tira un sourire désabusé. En se tournant vers la droite, il contempla la jeune femme. Elle ne paraissait pas vieillir, mais au fil des ans, le visage devenait plus dur, continuellement buté. Elle n’avait aucune raison de se douter que Mathieu était son demi-frère. Un moment, Edouard eut envie de la mettre dans la confidence.
    Puis il renonça. Mieux valait changer le cours de la

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