Thalie et les âmes d'élite
allée, il reconnut la silhouette familière. En se dirigeant vers elle, il afficha un sourire trahissant sa satisfaction.
— Bonjour, Elise, dit-il en soulevant son chapeau.
— Bonjour.
Dans un endroit aussi fréquenté, ils n’osaient pas toujours se serrer
la
main.
Lors
de
belles
journées
comme
celle-là, des centaines, peut-être des milliers de personnes venaient prendre l’air dans ce grand parc, dont plusieurs de leurs voisins.
— J’aime beaucoup ta tenue, murmura-t-il toutefois lorsqu’ils commencèrent à marcher côte à côte.
— ... Merci. Je suis allée à la boutique ALFRED la semaine dernière. Mon amitié pour Thalie me vaut une petite réduction sur les prix. Cela devient un peu gênant.
— Pourtant, cette attention me semble tout à fait naturelle.
Madame Picard comprend très bien le rôle de ton père dans la carrière de sa fille.
La femme en tirait la même conclusion. Pourtant, elle avait toujours un peu de mal à accepter de faire l’objet de pareilles attentions.
— Thalie avait juste besoin de la chance de se faire connaître.
— Ce que monsieur Caron lui a gentiment offert.
Elise tourna la tête pour regarder son compagnon.
— C’est amusant, car mon amie me dit exactement la même chose à propos de toi. Tu as offert à Mathieu de travailler pour toi, et ensuite tu l’as reçu dans ton étude tout le temps de sa cléricature.
— Je ne l’ai pas regretté... Dommage, il a ensuite repoussé mon offre de se joindre à moi.
— Sans doute Thalie voudra-t-elle ouvrir son propre cabinet, l’un de ces jours. Si cela arrive, elle me manquera.
Elise préférait ne pas trop penser à cette éventualité. La vie entre ses parents et ses enfants lui valait trop peu d’occasions de se détendre vraiment. Les moments passés auprès de son amie le lui permettaient.
Fernand jugea avoir trop parlé des autres. Sa compagne lui semblait être un meilleur sujet.
— Continues-tu de fréquenter le gymnase de madame Hardy-Paquet ?
— J’essaie d’y aller deux fois par semaine. L’exercice a le meilleur effet sur mon humeur.
Elle n’osa pas ajouter «et sur mon corps». Vanter ses charmes ne se faisait pas.
— Dommage qu’elle ne prenne pas les hommes. J’en aurais besoin pour améliorer mon caractère. Surtout, cela me donnerait une possibilité de te voir.
— Oh ! La présence d’un homme parmi nous ferait sensation.
Elle imaginait toutes ces dames dans leur costume matelot, haletantes et couvertes de sueur, dans des postures plutôt suggestives. Pendant une heure, tous les deux évoquèrent les événements, petits et grands, survenus au cours de la dernière semaine. Aux yeux des autres promeneurs, ils ressemblaient à des voisins s’étant rencontrés par hasard.
Les plus observateurs remarquaient peut-être que ce même hasard les conduisait dans la même allée du parc des Champs-de-Bataille avec une certaine régularité. Comme ils prenaient garde de conserver un bon pied entre eux en marchant, de dissimuler leur plaisir de se voir, de se quitter sur une simple poignée de main, peut-être ne suscitaient-ils pas trop de conversations menées à voix basse. Et dans le cas contraire, les plus indulgents se souviendraient que la femme était veuve depuis maintenant près de huit ans, et que l’homme paraissait particulièrement malheureux en ménage.
Un peu après quatre heures, le couple rejoignit la Grande Allée.
— Les enfants doivent être revenus de leur expédition avec mes parents, remarqua Elise. Il vaudrait mieux que je rentre afin de les accueillir.
— Bien sûr, dit Fernand en s’immobilisant. Tu sais, nos conversations me font beaucoup de bien. Je ne saurais plus m’en passer.
— Je ne connais pas une situation aussi... tendue que la tienne, mais je suis toujours heureuse de te voir. Le dimanche, toutefois...
L’homme hocha la tête en se rappelant la scène étrange survenue sur le parvis de l’église Saint-Dominique en matinée. Eugénie était restée songeuse pendant tout le repas, ensuite.
— Nous devrions tous les deux rester avec nos enfants ce jour-là, approuva Fernand. Me réserver des moments libres pendant la semaine ne pose aucune difficulté, tu sais.
— Mais tu dois recevoir tes clients.
— Je leur conserve mes soirées. Ils ne perdent pas au change.
Son interlocutrice acquiesça d’un mouvement de la tête.
Elle aussi arriverait sans trop de mal à se rendre disponible pendant la journée.
Weitere Kostenlose Bücher