Thalie et les âmes d'élite
salle de consultation, sœur Sainte-Sophie se glissa dans la pièce pour dire :
— Le garçon au cilice attend ici. Il a vraiment mauvaise mine. De la sueur au front par ce temps, un mouchoir roulé en boule dans la main...
Thalie comprit tout de suite.
— Et aucune trace d’épidémie de grippe depuis des semaines, fit-elle remarquer. Y a-t-il encore des gens qui patientent?
— Deux futures mamans.
— S’il en vient d’autres, à moins d’une urgence, dites-leur de revenir demain.
Recevoir ces deux patientes lui prit tout au plus quarante minutes. Puis Raymond fut devant elle. Dès son apparition dans l’embrasure de la porte, elle apprécia tout de suite la différence avec le garçon rencontré au magasin PICARD
en décembre. D’abord, il avait encore perdu du poids. Puis le visage paraissait épuisé, les yeux cernés, fiévreux.
— Viens t’asseoir. Nous n’avons pas eu l’occasion de parler ensemble depuis longtemps.
— Je suis désolé. .s’excusa-t-il en prenant place en face d’elle. Mon directeur spirituel...
— Tu veux dire monseigneur Buteau.
— Oui. Il m’a dit de ne plus vous voir.
La jeune femme s’interrogea sur les motivations de son oncle. Peut-être craignait-il que le contact avec une femme ne détourne son paroissien du sacerdoce. Plus probablement, sans doute ne souhaitait-il pas le voir avec une femme médecin, une personne bafouant ainsi ouvertement les directives de l’Eglise de la province.
— Aujourd’hui, tu as décidé de défier ses recommandations.
— Je ne vais pas bien... Je tousse.
— Tu craches du sang?
Au lieu de répondre, il sortit son mouchoir de sa poche et le déplia un peu devant elle. Les taches témoignaient de ses quintes de toux fréquentes.
— Il y a longtemps ?
— Aux fêtes, j’ai commencé à tousser. Il y a eu du sang à partir des funérailles de monseigneur Roy.
— Cela fait six semaines. Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt? Raymond haussa les épaules, une façon de dire «Je ne sais pas». Comment expliquer à cette jeune femme aux yeux pleins de sympathie que verser son sang lui semblait être une façon de se rapprocher de Jésus, de participer un peu à sa Passion et à ses derniers moments sur la croix ?
— Si tu veux, nous allons tout de suite passer dans la salle d’à côté, pour procéder à l’examen. La présence de sœur Sainte-Sophie ne te gênera pas ?
Il secoua la tête de gauche à droite. Une sainte femme ne serait pas troublée par la vue de son corps. Ne voyait-elle pas tous les jours celui de Jésus sur la croix?
En passant dans la pièce voisine, Thalie trouva la religieuse affairée
près
de
l’appareil
destiné
à
prendre
les
radiographies. Sachant qu’on en viendrait là, elle avait tenu à tout préparer.
— Si tu veux enlever tes vêtements, demanda le médecin.
Le garçon posa son sac sur une chaise et ôta la ceinture tissée à sa taille pour lui faire suivre le même chemin. Pour retirer sa jaquette et sa chemise, il tourna le dos aux deux femmes. En sous-vêtements jusqu’à la taille, il demanda :
— C’est suffisant?
— Enlève aussi le tricot.
Il obtempéra. Comme il interrogeait maintenant le docteur du regard, elle désigna les médailles pendues à son cou pour qu’il les quitte aussi. Elle s’approcha ensuite, les embouts de son stéthoscope dans les oreilles. Le disque en métal parcourut le côté droit de la poitrine, puis le gauche.
Le chuintement malsain se fit entendre dans les deux poumons. Au passage, le médecin constata combien le cœur battait vite. Cela trahissait sans doute l’extrême angoisse de son jeune patient.
Plus tard, elle le guida devant l’énorme appareil qui prendrait la radiographie de sa poitrine. Elle se retira ensuite dans la pièce voisine. Puis, appuyée contre le mur, Thalie ferma les yeux et inspira longuement pour maîtriser ses émotions. Depuis l’été précédent, elle avait vécu ce genre de situation une dizaine de fois déjà, l’idée de se dérober ne l’effleurait plus. Ces circonstances constituaient tout de même une torture.
Une fois les clichés pris, elle trouva Raymond en train de remettre ses vêtements.
— Retournons dans mon bureau pendant que sœur Sainte-Sophie prépare les radios.
La tête basse, l’adolescent passa la porte et la suivit dans la pièce voisine. Une fois sur la chaise réservée aux visiteurs, il bredouilla :
— C’est la consomption.
Cette autre façon de
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