Thalie et les âmes d'élite
souffla-t-elle.
Comme il posait sur le médecin un regard chargé d’incertitude, elle répéta :
— Enlève-le. De toute façon, tu n’en as plus besoin, n’est-ce pas ?
Ce n’était pas tout à fait vrai, Chariot ne renonçait pas à montrer ses cornes. Les pensées impures subsistaient toujours. Pourtant, il souleva très haut la jambe du sous-vêtement, s’acharna
sur
les
nœuds
permettant
de
tenir
le
cilice en place. Quand il réussit à l’enlever, Thalie aperçut la peau irritée par le cuir, percée par les pointes en cuivre.
Il ne s’agissait pas de blessures graves, tous les adolescents s’en faisaient de plus douloureuses un jour ou l’autre, en jouant. L’horreur venait de l’état d’esprit conduisant un enfant à se les imposer, jour après jour.
Raymond lui tendit l’objet, elle le prit en refoulant avec difficulté son dégoût, puis le fit disparaître dans l’une des poches de sa grande blouse blanche, résolue à ne jamais le lui rendre.
— Glisse-toi sous les couvertures, dit-elle, l’expression embarrassée.
Étendu sur le dos, l’adolescent gardait résolument les yeux sur le crucifix. Elle prit la chaise posée contre un mur pour l’approcher du lit. Elle assise, lui couché, ses yeux se trouvaient juste un peu plus haut que les siens.
— Je ne devrais pas avoir peur, souffla-t-il. Au contraire, je devrais me réjouir.
— Que veux-tu dire ?
— Bientôt, je vais Le rejoindre.
Protester, dire que tout irait bien, serait cruel. Finalement, l’espoir passager ne conduisait-il pas à un accablement plus profond
encore
?
Elle
demeura
coite,
confirmant
le pronostic.
Devant son silence, le garçon continua :
— Après tout, au moins Lui m’aime réellement, avec mes faiblesses, mes limites, mes imperfections. Il va m’accueillir dans ses bras, me serrer contre son corps, et cela pour l’éternité...
Pour lui, Dieu s’incarnait dans le corps d’un homme aimant. Un peu trouble, cette image le rassurait.
— Je regrette toutes mes fautes, insista-t-il, je me confesse chaque semaine, je communie tous les jours...
Raymond dressait la liste de ses croyances en regard du salut étemel, pour se rassurer lui-même. Il marqua une pause, effrayé d’avoir commis un nouveau péché d’orgueil.
— Enfin, presque tous les jours.
De nouveau, la frayeur qu’elle lisait dans ses yeux toucha la jeune femme. Elle leva la main droite pour la poser sur l’avant-bras du garçon, étendu le long de son corps, et esquissa une caresse.
— Je suis certaine que tes parents t’aiment, eux aussi.
«Bien sûr, songea Raymond, papa doit m’aimer à sa façon, même si je le déçois certainement. Quant à maman... »
L’affection de sa mère ne pouvait être mise en doute.
Pourtant, son sentiment d’abandon, depuis plusieurs mois, prenait des proportions abyssales.
— Et à l’école, l’amitié de tes camarades...
Le garçon laissa échapper un rire bref et fut pris d’une nouvelle quinte de toux. Il tendit la main pour chercher un mouchoir. Son pantalon étant hors de sa portée, Thalie extirpa le sien de sa poche pour le lui tendre. Le garçon reçut le carré en toile fine généreusement brodé avec un sourire narquois. Elle le récupérerait taché de sang, ou alors elle préférerait le lui abandonner, songea-t-il.
A cet instant, sœur Sainte-Sophie frappa doucement à la porte, l’entrouvrit pour glisser la tête.
— Demain matin, tu pourras entrer à l’hôpital Laval.
Tu profiteras du grand air, les médecins là-bas sont les meilleurs pour soigner ta maladie.
Elle n’attendit pas de remerciements de sa part avant de continuer :
— J’ai aussi téléphoné à tes parents. Ils viendront bientôt.
La religieuse suivait le protocole habituel dans ces circonstances. Des yeux, elle consulta le médecin. Les paroles devenaient inutiles entre elles.
— Vous pouvez retourner au couvent, ma sœur. Demandez à votre remplaçante d’apporter de quoi manger à notre jeune malade. De mon côté, je vais lui tenir compagnie.
Son interlocutrice hocha la tête d’un air entendu.
*****
En apprenant l’affreuse nouvelle, madame Lavallée refusa tout d’abord d’y croire. Elle s’entêta à demeurer avec ses trois autres enfants tout le temps du souper. Comme elle s’apprêtait à desservir la table, Germaine, son aînée, posa les mains sur ses épaules pour lui dire :
— Maintenant, vous devez aller là-bas, papa et toi.
— Ça ne
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