Thalie et les âmes d'élite
pas. A la place, pour la première fois, il donna libre cours à son inquiétude :
— C’est une maladie grave.
La pointe de désarroi ramena Thalie à sa compassion habituelle.
— Sa situation est très sérieuse. Sa vie se trouve entre les mains de Dieu, nous ne pouvons être certains du dénouement. Tout de même, vous devez vous préparer au pire.
La référence à Dieu lui venait naturellement, dans ces circonstances. Cela semblait aider les proches de tous ses patients à accepter l’inévitable.
— Nous allons retourner dans la chambre, maintenant.
Votre présence le rassurera un peu.
Cela aussi réussissait à calmer la plupart. L’esprit s’adaptait bien vite à l’inéluctable, mais la solitude demeurait la grande terreur de chacun. La présence de parents, d’amis, apportait un peu de sérénité aux âmes torturées.
Madame Lavallée avait extirpé le petit chapelet en cristal offert lors du dernier Noël de son sac. Elle-même tramait toujours le sien sur elle.
— Nous allons prier, mon bébé. La prière d’une mère, c’est puissant. Tu vas voir, nous allons dire des Je vous salue, Marie. Jésus ne refusera pas de te rendre la santé, si la Vierge le lui demande avec nous.
Le père s’approcha du lit en prenant un air emprunté, mal à l’aise. La toute-puissance des incantations devait le laisser sceptique. Visiblement, il ne savait pas trop quelle attitude adopter.
— Tu vois, papa vient prier avec nous, continua la mère.
Tout va bien aller, je te le promets.
Etendu de tout son long, la tête au creux de son oreiller, Raymond fermait les yeux, comme pour faire abstraction de ses parents. Pareille attitude ne suffisait pas à décourager la mère.
— Si tu es trop fatigué pour dire les mots à haute voix, ce n’est pas grave. Le petit Jésus lit dans ton esprit. Dans ta tête, accompagne-nous. «Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous... »
Les lèvres du père s’agitaient en silence. Tout d’un coup, malgré tous les griefs accumulés au fil des ans, il découvrait combien il tenait à son fils aîné. Thalie se tint de longues minutes adossée au mur de la chambre, certaine que les simagrées maternelles représentaient une torture pour son patient. Elle s’agitait trop, parlait trop pour endormir sa propre peine, sans laisser son fils exprimer son angoisse.
Mais comment mettre fin à ces effusions ?
Après un chapelet interminable, le garçon réussit à articuler:
— Je suis fatigué, maman. Je veux dormir.
— ... Oui, mon bébé, je comprends. Je vais rester près de toi toute la nuit.
A cette proposition, Raymond ouvrit de grands yeux suppliants en fixant son médecin.
— Madame Lavallée, je crains que cela ne soit pas possible.
C’était un mensonge : les deux chambres voisines étaient libres. Mais elle ne lui proposerait pas l’une d’entre elles.
Bien que sceptique, la femme n’osa pas protester à haute voix. Tout le monde avait l’habitude des heures de visite limitées des hôpitaux. Les religieuses se montraient inflexibles sur le sujet.
— Vous feriez mieux d’aller vous reposer, continua Thalie. Demain la journée sera longue, vous devrez vous rendre à l’hôpital Laval avec votre enfant.
L’argument fit son chemin dans la tête de la mère.
— L’infirmière a raison, admit-elle en se penchant de nouveau sur son fils pour l’embrasser. Je vais aller dormir, mais je serai là demain très tôt.
Son mari lui prit le bras pour l’entraîner vers la porte.
— Essaie de te reposer un peu, mon gars, déclara l’homme d’une voix éraillée par l’émotion.
— Ça va bien aller, renchérit la grosse dame. Je te promets ça. Avec la prière...
Enfin, le couple s’en alla. Thalie entendit la femme parler à la religieuse, évoquer encore l’« infirmière », puis elle quitta le dispensaire.
— C’est une grande chrétienne, grommela Raymond, un sourire narquois sur les lèvres.
Pour la première fois depuis la fin de l’après-midi, le médecin s’autorisa à sourire aussi.
— Ses intentions sont bonnes, plaida-t-elle.
— Mais nous savons tous les deux que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Pendant ce bref échange, le malade révélait ce qu’il aurait pu être, nonobstant sa fièvre religieuse: un être à l’esprit vif, volontiers ironique.
— Je pensais que la voir me réconforterait, confia-t-il.
En réalité, je l’ai trouvée... étourdissante.
— Dormir te
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