Thalie et les âmes d'élite

saluer leurs hôtes avant de partir. Ce fat bientôt le tour des Dubuc et des Picard.

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L’église Saint-Roch s’ornait des couleurs du deuil. Tous les bancs étaient occupés. Non seulement les paroissiens tenaient à saluer pour la dernière fois l’un des leurs, mais le Petit Séminaire avait dépêché une centaine d’écoliers pour l’occasion.
    La mère et la fille Picard se retrouvèrent dans le jubé.
    Cela leur donnait une vue imprenable sur le chœur. Assistés de nombreux servants de messe, les trois vicaires concélébraient la cérémonie avec leur curé. Dans le premier banc, sur la droite, la famille Lavallée s’entassait, un peu à l’étroit.
    Si la mère paraissait sans cesse secouée de violents sanglots, le père demeurait droit et digne.
    Monseigneur Buteau se serait battu pour le privilège de prononcer lui-même l’eulogie. De toute façon, personne ne lui contesta ce rôle.
    — Mes chers paroissiens, mes chers écoliers venus rendre un dernier hommage à un camarade, Raymond, notre frère, est monté au ciel. C’est assis près de Jésus qu’il nous regarde aujourd’hui. Je n’ai pas le moindre doute sur cela, tout comme je n’ai pas le moindre doute qu’il y a trois jours encore, un saint vivait parmi nous. J’ai eu le merveilleux privilège d’avoir accès à son journal au cours des derniers mois. J’espère qu’un jour, tous les bons catholiques pourront se délecter du contenu de ses petits cahiers d’écolier.

    Raymond Lavallée était une âme d’élite.
    Dans le jubé, Thalie serrait les dents pour s’empêcher de crier. Ce sinistre personnage avait enfin son saint enfant.
    C’était pour lui-même un sauf-conduit pour la renommée, et, s’imaginait-il, peut-être aussi pour le paradis.
    Quand il descendit de la chaire, le silence dans le temple n’était troublé que par les sanglots de madame Lavallée.
    L’abbé Renaud s’agita dans l’allée latérale de droite. Un écolier avait été recruté pour livrer un second éloge. Afin d’éviter les grincements survenus aux dernières funérailles d’un séminariste, l’honneur n’échut pas à Jacques Létourneau.
    Dommage. Lui seul aurait pu succéder au prélat domestique sans souffrir de son ombre. À la place, l’assemblée dut se contenter de cinq minutes de platitudes.
    A la fin de la cérémonie, l’assistance se dispersa lentement, comme si elle hésitait à quitter la dépouille d’un saint.
    Marie et Thalie attendirent que la chorale d’enfants descende l’escalier étroit. Elles se retrouvèrent sur le parvis de l’église comme l’entrepreneur de pompes funèbres Lépine fermait la porte du corbillard.
    — Je veux me rendre au cimetière, décida la jeune femme.
    Marie s’occupa de héler un taxi stationné en face du magasin PICARD. Le chauffeur réussit sans mal à dépasser le cortège. Il arriva au cimetière Saint-Charles avec une dizaine de minutes d’avance.
    — Vous allez nous attendre ici, dit la marchande en descendant. Pour en être certaine, je vous paierai à notre retour.
    — Madame, cela ne se fait pas...
    — Vous croyez ?
    Sur ces mots, elle s’engagea dans une allée bordée d’arbres. Le lieu de la sépulture fut facile à identifier, des badauds se tenaient déjà près de la fosse, une blessure dans la terre. Bientôt, le corbillard roula entre les tombes. Quatre écoliers portèrent le cercueil en bois blanc pour le poser sur le mécanisme qui le laisserait tout à l’heure descendre au fond du trou.
    Monseigneur Buteau se tenait à une extrémité de la boîte, son étole autour du cou, tête nue. Il reprit les mêmes phrases récitées un peu plus tôt à l’église, mais dehors, sous une douce brise, les effets en étaient émoussés. Madame Lavallée tenait une grande photographie de son fils contre sa poitrine, comme pour montrer à toutes ces personnes l’image du saint sorti de son ventre. Raymond devait avoir quatorze ans alors. Cheveux frisés, joues rondes d’enfant trop gras, sourire espiègle : Thalie regretta de ne pas l’avoir croisé à cette époque.
    L’ecclésiastique arrosa le cercueil et les personnes les plus proches à grands coups de goupillon. Thalie sursauta quand des gouttes d’eau bénite touchèrent sa main. Puis les badauds se dispersèrent. Enfin, le curé s’approcha des parents éplorés avec un employé des pompes funèbres pour les inviter à s’éloigner. Le déclenchement du mécanisme de mise en terre