Thalie et les âmes d'élite

mura un «bonne chance» rapide avant d’aller rejoindre son premier patient. La jeune femme ramassa son sac en cuir, regarda une dernière fois la petite pièce, puis sortit.
    Derrière la table de la réception, la religieuse dit avec un sourire :
    — Bonne chance, docteur Picard. Vous avez fait preuve de grande générosité.
    — Merci, ma sœur. Bonne continuation dans votre nouvel hôpital.
    Dehors, elle contempla la bâtisse qui avait autrefois été une écurie. Puis elle tourna le dos à un épisode fort romantique de sa pratique médicale.

    *****
    Les chambres de l’hôpital Laval, à vrai dire de grandes salles, recevaient chacune une douzaine de patients. Les lits étaient alignés en face des fenêtres. Celles-ci, grandes ouvertes, laissaient entrer la brise chaude de juin.
    Arthur Rousseau s’arrêtait près de chacun des malades, tous de jeunes hommes, le plus âgé n’ayant pas dépassé vingt-deux ans. Sa routine se révélait un peu morbide: quotidiennement, il constatait la faiblesse croissante de ceux-ci, la respiration sifflante, la pâleur des traits.
    Très rarement, il voyait l’état de l’un de ses patients s’améliorer.
    Raymond Lavallée occupait la dernière couchette.
    Le médecin commença avec lui, comme avec tous les autres, par la même question, comme s’il obéissait à un rituel :
    — Comment vas-tu, mon garçon ?
    Devant témoin, aucun de ces tuberculeux n’osait admettre la terreur qui les tenaillait sans cesse.
    — Ça peut aller.
    Le pyjama détaché permit au bout froid du stéthoscope de parcourir la poitrine. Les poumons produisaient un chuintement malsain. Maintenant, le garçon arrivait tout juste à se rendre seul à la toilette. Bientôt, ce ne serait plus possible. Alors, les religieuses le déplaceraient dans une chambre privée. La suite des événements se montrerait trop démoralisante pour les autres.
    — Tu continues de recevoir la visite des membres de ta famille, je crois.
    — Ma mère vient assez souvent pendant la semaine, mon père, tous les dimanches.
    — Ta mère t’aime visiblement beaucoup. Pour elle, venir de la paroisse Saint-Roch représente une véritable expédition.
    — Oh ! Mais elle profite parfois de l’automobile de monseigneur Buteau.
    Le saint homme mobilisait l’un de ses paroissiens âgés pour jouer le rôle de chauffeur. Cela lui donnait une complète liberté de mouvement.
    — Tu as beaucoup de chance. A ce que j’entends, tu affiches une piété exemplaire. Je suis certain que le Seigneur veille sur toi.
    Le visage du garçon n’afficha pas toute la satisfaction attendue. Quand le praticien fit mine de s’éloigner de son lit, Raymond leva la main pour le retenir, puis il dit tout bas :
    — Monsieur, pourriez-vous demander au docteur Picard de passer me voir ?
    Le ton de la voix ressemblait à celui d’une supplique.
    L’homme leva les yeux vers la religieuse qui l’accompagnait toujours dans sa tournée des malades. Il crut remarquer une crispation de ses traits.
    — Mais, mon garçon, tu reçois les meilleurs soins possibles, je t’assure.
    — Je sais... je veux juste la voir. C’est mon amie...

    La silhouette noire de la sœur de la Charité se raidit, comme sous une menace soudaine.
    — Comme nous, elle doit être très occupée par ses malades.
    — S’il vous plaît...
    — Je verrai ce que je peux faire.
    Il restait une cinquantaine de patients à visiter. Au cours de l’heure suivante, Arthur Rousseau se demanda comment organiser un rendez-vous clandestin. A la fin, un pareil projet lui parut impossible.

    *****
Depuis plus de deux mois, Élise trouvait le moyen de se libérer quelques heures en matinée toutes les semaines afin d’aller marcher sur les plaines d’Abraham. Alors que les hommes se trouvaient au travail et que les femmes se consacraient à leur maison, son compagnon et elle partageaient un banc un peu à l’écart, sous un arbre, pour discuter à voix basse, ou alors se complaire dans de longs silences.
    Chaque fois, elle disait se rendre au gymnase de madame Hardy-Paquet. Si le docteur Caron se réjouissait de voir sa fille s’entraîner avec autant d’assiduité, sa femme se révélait moins naïve. En juin, alors que sa fille revenait de l’une de ses promenades, elle demanda à voix basse :
    — Qui vois-tu ?
    Le ton ne contenait aucun reproche, seulement une petite inquiétude.
    — Je reviens du gymnase...
    Elle s’arrêta au milieu de la phrase, tellement le