Thalie et les âmes d'élite
mensonge lui était peu familier. Sa mère lui fit signe de s’asseoir avec elle à la table, puis lança dans un souffle :
— Personne ne s’entraîne sans transpirer au moins un peu. Elise ne put retenir son sourire. A trente-sept ans, sa mère la perçait aussi bien que lorsqu’elle avait dix ans.
— Qui vois-tu ? répéta madame Caron.
— Ce n’est pas ce que tu penses.
Elle venait d’admettre qu’elle fréquentait quelqu’un.
Autant tout dire maintenant, plutôt que de se faire arracher des bribes d’information au nom de l’amour filial.
— Depuis quelques mois, je rencontre Fernand Dupire pour de longues marches, rien de plus.
Pendant un long moment, elles demeurèrent silencieuses.
— Il a une épouse, tu le sais.
— Aux yeux de la loi, ou de l’Eglise, tu as raison. Mais Fernand n’a pas de femme, et cela depuis des années. Ils vivent comme des étrangers depuis sa dernière grossesse.
De nouveau, la mère accepta l’affirmation comme véridique.
Bien des années plus tôt, elle avait suffisamment côtoyé Eugénie pour juger de sa compétence à servir de compagne à un homme. Et le fils Dupire, moins que tous les autres peut-être, risquait bien peu de trouver crédit aux yeux d’une telle personne.
— Tu sais, ma grande, ses malheurs conjugaux ne changent rien à la réalité : il est marié.
— Je comprends. Mais à mes yeux, son statut n’a pas d’importance : nous nous rencontrons pour marcher une petite heure. Notre premier sujet de conversation, ce sont nos enfants respectifs.
Sa mère hocha la tête, sachant combien chacun avait besoin de rompre avec la solitude.
— Mais tu ne peux pas empêcher les gens de parler, dit-elle.
— Pour dire quoi ? Quelque chose comme : « La fille Caron fait des promenades avec le fils Dupire » ? Nous ne faisons rien pour alimenter les ragots.
— Tu n’as pas besoin de faire quelque chose. Les gens ont une imagination débordante, dans ce domaine... Je crains pour ta réputation. Si des histoires commencent à circuler dans la ville..
La mère n’osa pas poursuivre sa pensée jusqu’au bout.
La fille le fit pour elle :
— Tu crains que les bons partis ne lèvent le nez sur moi, n’est-ce pas? Mais voilà bientôt huit ans que je suis seule.
Bien sûr, les deux premières années, je faisais mauvaise figure à tout le monde. Mais depuis, en as-tu vu beaucoup, toi, des célibataires ou des veufs respectables me tourner autour? Pas moi.
Madame Caron posa sa main sur celle d’Elise. Elles restèrent ainsi pendant une bonne minute.
— Fais attention à toi, dit la mère en se relevant pour aller préparer le repas.
— Oui, maman, ne t’inquiète pas.
Après dîner, elle regagnerait son poste de travail dans la salle d’attente.
Chapitre 25
Le samedi 26 juin, les Dubuc et les Picard se levèrent de bon matin pour rejoindre les O’Neill à la cathédrale de Québec. La promesse de mariage formulée six mois plus tôt trouvait sa conclusion. Dans une petite robe blanche, Amélie lança un oui bien net, clair et joyeux. Bien que plus grave, celui de l’époux paraissait tout aussi convaincu.
Pendant les vœux, Thalie tenait son filleul contre son corps, assis sur ses genoux.
— Au moins, fit-elle à son oreille, toi, tu visiteras encore ta marraine vieille fille, dans cinquante ans.
Elle choisit de considérer le gazouillis comme une promesse ferme.
A titre de père de la mariée, Paul Dubuc devait assumer les frais de la noce. Amélie avait insisté pour une célébration très simple, comme un verre de vin au rez-de-chaussée du commerce ALFRED, après la cérémonie. Déjà, sa cadette devrait continuer à travailler dans l’attente de son premier enfant, aussi l’homme tenait à afficher un peu sa prospérité.
Trop de modestie ferait jaser. Tout le monde se retrouva donc au restaurant Kerhulu pour le dîner. L’établissement reconstruit au printemps avait été réservé pour l’occasion.
Ils en étaient au dessert, après bien des vœux de bonheur éternel et des baisers encouragés par le bruit des cuillères heurtant les verres de vin. Les fous rires de la mariée suffisaient à rassurer les O’Neill, une tribu de robustes rouquins, sur l’avenir de cette
union.
Amélie
s’alliait
à
une
famille
de
débardeurs et d’ouvriers sans la moindre impression d’une mésalliance.
Une vendeuse de la boutique marcha dans le restaurant, un peu intimidée, se rendit à la table des
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