Thalie et les âmes d'élite
l’école, poursuivit-il, mais aussi la pratique de la vertu. A ce sujet, un prêtre doit se révéler irréprochable.
«Ou à tout le moins, songea l’ecclésiastique, paraître tel. » Ce genre de précision ne se formulait pas à haute voix.
La rebuffade se montrait d’autant plus facile pour Buteau que sa propre carrière scolaire, dans le même établissement, s’était révélée médiocre.
— Oui, je sais, souffla le garçon, les yeux toujours baissés.
— De ce côté, es-tu second, ou premier ?
— J’essaie très fort d’être le premier, mais le diable est tenace.
Avouer ses fautes dans l’obscurité du confessionnal était difficile. Dans cette grande pièce sévère, bien éclairée, avec les yeux de son pasteur rivés sur lui, cela devenait insupportable.
— Et le démon, insista le curé, paraît s’acharner sur les plus vertueux.
Raymond considéra la remarque comme un compliment, cela le rendit plus volubile.
— Il me suit sans cesse, partout, à l’école, à la messe même. Sans arrêt, il pointe ses cornes. Résister est un combat de tous les instants.
De l’autre côté de son bureau, les deux mains jointes sur son ventre, Buteau montrait un visage presque amical.
— Tu connais le saint curé d’Ars ?
— Jean-Baptiste Vianney. L’an dernier, le professeur nous a fait lire sa biographie.
— Toutes les nuits, il se battait à mains nues avec le diable.
L’exemple présenté à Thalie quelques heures plus tôt lui revenait spontanément en mémoire.
— Il avait un nom pour le désigner..., continua-t-il.
— Le Grappin.
Toujours bon élève, le garçon ne pouvait se priver de lancer la réponse exacte. Après un premier moment de satisfaction, il baissa les yeux, le mot «vanité» lui revenant en mémoire.
— Toi, tu as un nom pour le diable lancé à tes trousses ?
— Chariot.
— ... C’est un nom un peu curieux, familier. D’où te vient-il ?
— Le comédien...
Charles Chaplin, la grande vedette de cinéma, incarnait dans la plupart de ses productions un vagabond affublé de ce sobriquet.
— Et pourquoi donc ?
— Selon les journaux, c’est un grand pécheur.
Pareil jugement pouvait avoir été publié dans n’importe quel périodique québécois plus ou moins contrôlé par l’Eglise. Les liaisons répétées du petit personnage avec des comédiennes parfois très jeunes et son divorce, survenu en 1920, justifiaient toutes les attaques des bien-pensants.
— A mes yeux, le mot « cinéma » lui-même pourrait être synonyme de démon, grogna le prélat domestique.
Les circonstances et l’âge de son interlocuteur ne prêtaient guère à un long exposé sur cette croisade. Pendant quelques instants, un silence gênant pesa sur eux.
— Devant les attaques de Chariot, comment tentes-tu de lui échapper ?
Le prêtre ne voulait pas évoquer directement les confidences faites lors de la consultation auprès de Thalie Picard.
Même si la prétention de la jeune femme d’invoquer le secret professionnel lui paraissait ridicule, il préférait jouer de prudence.
— Avec des coups de griffe.
Le garçon aussi se remémorait le médecin aux grands yeux bleu sombre. En quelques jours, une seconde personne l’interrogeait sur sa façon de faire pénitence. La première lui paraissait avoir affiché plus d’humanité.
— Que veux-tu dire, des coups de griffe ?
Le visiteur fit mine de se frapper la cuisse. Après l’explication de
Thalie,
demander
un
complément
d’information
ne servait à rien.
— Mais tu as dit que Chariot te suit partout. Tu ne peux pas te griffer en classe, quand le maître parle de poésie latine, ou de saint Thomas d’Aquin.
— ... J’ai une bande de cuir, ici, répondit-il avec un geste vague.
— Tu portes un cilice ?
— ... Oui.
Les reproches implicites du médecin le rendaient un peu inquiet d’avouer cela. Son pasteur le lui reprocherait-il aussi ?
— Présentement, tu l’as sur toi ?
L’aveu prit la forme d’un hochement de la tête.
— Et Chariot, il se trouve aussi dans cette pièce ?
De nouveau, l’acquiescement demeura muet.
— Le diable se trouve donc aussi dans le presbytère de ta paroisse, conclut Buteau.
— Oui. Tout à l’heure, en parlant de mes résultats scolaires, j’ai commis le péché d’orgueil.
Présentée de cette façon, la supposée présence du diable prenait une forme plutôt bénigne. Le prêtre reconnut là un enthousiasme religieux un peu
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