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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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combats à mains nues qui le laissaient épuisé au matin. Il appelait son adversaire démoniaque « Le Grappin ».
    Tu veux dire que, selon ta science, ce saint était bon pour l’asile ?
    Thalie eut envie de lancer un « oui » tonitruant. Mais pareille réaction lui aurait valu au moins une interdiction des sacrements, au pire une excommunication pure et simple. Dans une telle éventualité, elle aurait été condamnée à se convertir au protestantisme et à poursuivre sa carrière ailleurs au Canada, ou même aux Etats-Unis.
    — Bien sûr que non, admit-elle en baissant les yeux pour la première fois. Nous parlons ici d’un garçon de seize ans un peu exalté, susceptible de nuire à sa santé. Vous voudrez bien lui parler un peu ?
    — Je parle tous les jours à mes paroissiens.
    — Je vous remercie, c’est très gentil... Je m’excuse d’avoir pris tellement de votre temps.
    Elle fit mine de se lever pour partir, vaincue, soucieuse maintenant de quitter cet endroit. Le prêtre lui fit signe d’attendre.
    — Cette question réglée, nous pouvons bien échanger quelques mots, n’est-ce pas ?
    — ... Bien sûr.
    Les fesses sur le bout de sa chaise, elle attendit.
    — Tu es née en 1900, je crois.
    — Avec le siècle, oui.
    — Cela te fait donc vingt-cinq ans.
    Elle acquiesça, certaine de ce qui allait suivre.
    — Il n’y a pas encore de mariage en vue ?
    — Pour tout vous dire, il n’y a pas de prétendant en vue.
    Encore moins une cérémonie.
    — C’est inaccoutumé. Ce vêtement - des mains, il désigna sa robe violette - ne me rend pas aveugle. Tu es une jolie fille.
    Thalie songea à le remercier du compliment, mais jugea préférable de présenter un plaidoyer.
    — Avec les études, puis maintenant le travail, je ne peux pas dire que j’aie le temps de songer au mariage.
    — D’une certaine façon, tu illustres parfaitement le bien-fondé de la position de l’Eglise. L’accès aux professions empêche les femmes de s’engager dans la seule carrière que Dieu leur destine: la maternité. Leur interdire cet accès leur donne la chance de se réaliser vraiment, au lieu de céder à leur vanité et prétendre occuper une fonction qu’elles n’ont
    ni
    la
    force,
    ni
    l’intelligence
    de
    mener
    à
    bien.
    La visiteuse eut envie de répliquer que si Dieu désirait faire des mères de toutes les femmes, il devait nécessairement en aller de même de la paternité et des hommes, sinon les épouses seraient à court d’époux ! Mais ce point de vue aussi lui vaudrait les foudres de l’Eglise.
    — Je ne sais pas, plaida-t-elle prudemment. Je côtoie toutes les semaines des sœurs de l’Espérance. Elles me paraissent bien incarner un engagement sincère à la fois envers Dieu et envers leurs semblables, dans le célibat.
    Buteau, interdit, demanda :
    — Songes-tu à devenir religieuse ?
    — Je réfléchis souvent à mon engagement. Le célibat me paraît propice à celui-ci.
    Sur cette réponse évasive, elle se leva, résolue à quitter les lieux avant de promettre de devenir novice.
    — Maman va m’attendre, s’excusa-t-elle, à la façon d’une enfant.
    L’ecclésiastique se leva aussi, amusé par le mauvais prétexte.
    — Bien sûr, je ne voudrais pas perturber l’horaire de Marie, approuva-t-il en l’accompagnant jusqu’à la porte.
    De nouveau, l’homme tendit la main, la paume tournée vers le sol. Thalie eut envie de s’esquiver en faisant semblant de n’avoir rien vu. Finalement, écœurée de sa propre faiblesse, elle capitula et posa les lèvres sur l’anneau.

    — J’aurai plaisir à te revoir, conclut-il. Nous pourrions discuter encore de célibat et de vocation.
    Comme la visiteuse ne répondit pas, il ajouta :
    — Transmets mes meilleures salutations à ta mère.
    Pendant que, littéralement, elle prenait la fuite, le prélat souriait de toutes ses dents. Il avait maté l’une de ces féministes.

    *****
    L’appel téléphonique de monseigneur Buteau eut lieu un peu avant l’heure du souper. Le saint homme n’avait pas l’intention de se priver de son repas, et cette rencontre ne risquait guère de troubler sa digestion. Il fixa un rendez-vous au jeune homme à sept heures trente.
    Pour tous les autres paroissiens, pareille invitation aurait été une source de malaise, sinon d’inquiétude. Raymond Lavallée la considéra comme un hommage à sa vertu. Sa très grande assiduité à accomplir ses devoirs religieux ne pouvait passer inaperçue

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