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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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inorganisée, profitait tout de même d’un réseau d’information très efficace. Les commentaires sur les mouvements de personnel allaient toujours bon train dans toutes les cuisines de la Haute-Ville.
    — Tu le sais, précisa la propriétaire, c’est toujours la même chose. Après quelques mois en ville, ces jeunes filles rencontrent un garçon. Elles me quittent pour se marier.
    D’autant plus que le travail, ici, est plus difficile que dans une maison privée.
    «Le mariage, songea la jeune femme, voilà une éventualité qui ne
    risque
    pas
    de
    m’arriver.»
    Coucher
    avec
    son
    patron l’empêchait de rencontrer quiconque « pour le bon motif». Le statut incertain de maîtresse la condamnait à la solitude.
    — Et depuis trois ou quatre ans, la situation est pire, enchaîna son hôtesse. Les grands magasins, les bureaux et même les manufactures proposent de meilleurs salaires que moi. — ... Donc, vous auriez une place pour moi.
    — Pas maintenant. Mais ces emplois que je viens d’évoquer, tu n’y as pas songé ?
    — Je ne sais rien faire d’autre qu’entretenir une maison.
    Vous vous souvenez, quand je suis arrivée de Charlevoix ?
    C’est tout juste si je pouvais signer mon nom.
    A l’été de 1908, une adolescente maigrichonne était entrée en service dans la grande demeure des Picard, rue Scott. Si la jeune femme s’exprimait maintenant fort bien et offrait aux regards un corps plantureux, elle demeurait peu sûre d’elle. Même le travail dans une manufacture ou un atelier lui paraissait impossible à accomplir.
    — Mais tu n’es plus cette adolescente, insista son hôtesse.
    — Tout de même, je préférerais le travail domestique.
    Surtout avec vous.
    La gentillesse d’Elisabeth, sa compréhension, lui faisait désirer se rapprocher d’elle. De son côté, la propriétaire des lieux se trouvait un peu lasse de former des jeunes filles venues de la campagne, pour les voir disparaître à la première occasion. Puis il y avait ses projets d’agrandissement...
    — Si cela se produisait, insista la visiteuse, je veux dire un départ...
    — Je serais heureuse de t’avoir de nouveau à mon service.
    Au fond, Elisabeth se sentait toujours un peu coupable d’avoir demandé à sa jeune employée d’entrer au service des Dupire, en 1914. Désireuse d’aider sa belle-fille malheureuse, elle avait nui à cette femme.
    — Il ne me reste plus qu’à espérer le mariage rapide de votre dernière employée.

    Sur ce souhait, Jeanne avala un peu de thé, la tête bourdonnante d’appréhensions.

    *****
    Pendant toute la durée du souper, Fernand avait surveillé Jeanne du coin de l’œil. Son visage paraissait préoccupé.
    Des années de communication muette leur avaient appris à se comprendre sans prononcer un mot.
    Ce ne fut qu’à dix heures, après avoir tout rangé et tout nettoyé dans la cuisine, qu’elle put enfin frapper discrètement à la porte de sa chambre.
    — Te voilà enfin, murmura-t-il en lui ouvrant.
    — Je viens juste de terminer en bas...
    — Ce n’est pas un reproche, tu le sais bien. Il faudrait embaucher une autre personne pour le service, mais elle s’oppose radicalement à l’idée.
    Eugénie ne se contentait pas de distribuer tous les jours des phrases assassines. Lorsque la vieille domestique de madame Dupire avait cessé ses activités, elle avait voulu inciter sa rivale à partir en l’écrasant de travail. Aussi n’avait-on recruté personne.
    — Viens t’asseoir. Je t’ai versé de quoi boire.
    Le verre de sherry lui parut bienvenu. La bonne avala une gorgée et appuya la tête sur le dossier du fauteuil, les yeux fermés, exténuée.
    — Tu paraissais bien préoccupée, tout à l’heure, remarqua son compagnon.
    — ... Aujourd’hui, je suis allée chez madame Picard. Ta belle-mère, précisa-t-elle devant son regard intrigué. Je lui ai demandé si elle accepterait de me reprendre à son service.

    Un instant, Fernand voulut protester, lui dire de ne pas abandonner la maison. Il jugea pourtant préférable de n’en rien faire. Son affection pour Jeanne le lui interdisait. Il ne pouvait lui demander d’endurer encore les méchancetés de sa femme. Sa santé mentale et physique exigeait un déménagement rapide.
    — Puis, accepte-t-elle de t’embaucher?
    — Actuellement, elle a tout son personnel. Mais elle m’a laissé entendre que cela pourrait changer bientôt.
    La nouvelle amena l’homme à avaler la moitié de son

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