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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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au contraire ravie de me remémorer les années dans la rue Scott. Tu vois, je suis déjà à l’âge de me réjouir des occasions de parler du bon vieux temps. Entre.
    Seule une très belle femme pouvait se moquer ainsi du temps qui passe. La domestique resta plantée dans le hall, examinant le comptoir, les casiers vides de leurs clés depuis le départ des touristes, remplacés bien vite par les locataires réguliers, le papier peint un peu vieillot du couloir.

    — Nous allons monter chez moi. Des étudiants occupent le salon.
    La maîtresse des lieux s’engagea dans l’escalier. A l’étage, elle ouvrit la porte de la suite lui servant de logis privé. Deux fauteuils se trouvaient de part et d’autre d’une petite table.
    — J’ai demandé que l’on nous apporte du thé. Prends place.
    Une fois assise, Jeanne amorça un mouvement pour verser la boisson dans les tasses, puis elle s’arrêta en disant, le rose aux joues :
    — Excusez-moi.
    — C’est ce qu’on appelle une déformation professionnelle.
    Elisabeth prit la théière, les servit toutes les deux.
    — Alors, comment vas-tu ? demanda-t-elle.
    — Bien... bien.
    La domestique s’interrompit, puis un peu désemparée, avoua :
    — Non, ça ne va pas du tout.
    Dans un instant viendraient les larmes. En parfaite hôtesse, la propriétaire des lieux allongea la main pour la poser sur le poignet de la visiteuse. '
    — Bois un peu de thé, puis raconte-moi ce qui t’amène aujourd’hui.
    Jeanne fit comme on le lui disait, les paupières un peu gonflées, les yeux fixés sur le jardin en contrebas.
    — Je ne peux plus rester dans cette maison, confia-t-elle à la fin. Ça va me rendre malade.
    — ... Les choses ne vont pas mieux avec elle ?
    Nul besoin de préciser de qui il s’agissait. Elisabeth avait suffisamment enduré l’humeur délétère d’Eugénie pour savoir que la santé des autres pouvait en être affectée.
    — Tous les jours, la situation empire. Elle ne cesse de m’accuser de...
    Confesser ses péchés d’impureté la mettait terriblement mal à l’aise. Son hôtesse résolut de l’aider un peu :
    — C’est en rapport avec Fernand ?
    — Vous savez ?
    Des allusions émises au fil des ans, et surtout le malheur inscrit sur le visage du notaire, à l’époque où elle le rencontrait assidûment à la table de Thomas, lui permettaient de se faire une bonne idée de la situation matrimoniale de son gendre. Elle hocha la tête.
    — Nous ne devrions pas nous fréquenter...
    Le terme paraissait tellement ridicule, dans les circonstances.
    — Ce n’est pas bien, continua la visiteuse.
    Elisabeth secoua la tête pour exprimer son déplaisir de s’engager dans ces questions de morale. Les prêtres à eux seuls suffisaient amplement à culpabiliser leurs ouailles.
    — Elle n’arrête pas de me dire des choses méchantes, de me remettre à ma place. Selon elle, je ne vaux pas mieux qu’une...
    La jeune femme n’osa pas aller au bout de sa pensée. Le mot «prostituée» ne pouvait être prononcé devant une personne aussi respectable.
    — A ce que je sache, remarqua l’hôtesse, Eugénie ne se distingue pas par sa faculté à juger des personnes et des situations.
    — Tout de même, ça ne peut pas continuer. Si ce n’est pas moi qui tombe malade, ce seront les enfants.
    Jeanne préféra ne pas épiloguer sur ses craintes. Sa croyance en un Dieu vengeur l’amenait à s’imaginer la mort d’un enfant pour punir le père de ses amours adultères. Que l’idée lui ait été suggérée par Eugénie l’inquiétait encore plus. Sa patronne lui apparaissait comme une sorcière capable de jeter les sorts les plus maléfiques.
    — Ne laisse pas ton esprit divaguer de cette façon, conseilla Elisabeth d’une voix ferme. Dieu a certainement mieux à faire que de s’occuper de peccadilles.
    — ... Pourriez-vous me reprendre à votre service ?
    L’hôtesse porta sa tasse à ses lèvres pour se donner une contenance. Dès la demande d’un rendez-vous tôt ce matin-là, elle avait deviné le dénouement de la conversation.
    — J’ai tout mon personnel. Une cuisinière, Victoire, et une bonne pour faire le service à la table, de même qu’aux chambres. Une femme de charge me donne aussi quelques heures par semaine.
    Le dépit effleura le visage de Jeanne.
    — Plusieurs jeunes filles se sont succédé à votre service, depuis cinq ans.
    Elisabeth posa sa tasse, souriante. La «corporation» des domestiques, bien

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