Thalie et les âmes d'élite
exalté, mièvre aussi, comme celui exprimé par les plus jeunes filles des Enfants de Marie.
La piété masculine, même à seize ans, se voulait un peu plus terre à terre, devenant parfois carrément comptable.
— Est-ce mal ? demanda le visiteur, de l’inquiétude dans la voix. Je veux dire, les coups de griffe, le cilice...
— Non, bien sûr que non. La pénitence et la mortification de la chair représentent les meilleurs moyens d’accéder à la vertu. Toutefois, tout cela doit rester dans le domaine du raisonnable. Nuire à ta santé serait tout à fait condamnable.
A sa très grande surprise, monseigneur Buteau constata s’en tenir à la recommandation de Thalie. Cette prise de conscience le troubla fort.
— Surtout, ajouta-t-il pour s’affranchir du souvenir de la jeune femme, ne transforme pas ces mortifications en une occasion de péché particulièrement perverse.
Un certain désarroi se peignait sur les traits de son interlocuteur.
— Tu parais prompt à commettre le péché d’orgueil, expliqua le prêtre. Porter un cilice ne doit pas te conduire à te juger meilleur chrétien que les autres, mais seulement à te garder dans le droit chemin pour la plus grande gloire de Jésus.
A la rougeur sur les joues de son interlocuteur, le pasteur comprit avoir touché juste.
— Mais en prenant garde d’éviter ce piège, je peux continuer ?
Monseigneur Buteau acquiesça d’un geste de la tête.
Machinalement, son regard se porta sur la petite horloge posée sur le bureau. Cet écolier finissait par lui prendre plus de temps que ses paroissiennes les plus bavardes.
— Au Petit Séminaire, as-tu un directeur de conscience ?
— Pas encore. J’avais pensé à l’abbé Dufresne...
« C’est vrai, songea le curé, il est encore là. » Pendant ses propres études, il le trouvait déjà décrépit. Il devait aller sur ses quatre-vingts ans, maintenant. Cela ne le disqualifiait pas vraiment pour un travail de direction spirituelle, mais le prélat le soupçonnait de s’être amolli avec l’âge. La vieillesse conduisait certains à une sévérité maladive, mais elle inspirait à d’autres une grande indulgence, qui confinait souvent à la permissivité.
— Je peux jouer ce rôle auprès de toi. Si tu souhaites venir me rencontrer la semaine prochaine, à la même heure...
— Oui, bien sûr.
Un pareil empressement fit plaisir au curé. Souvent, les jeunes séminaristes, tout à leur engouement pour leurs maîtres, regardaient de haut le clergé paroissial.
— Nous pourrons discuter plus à fond du chemin vers la vertu.
Le prêtre posa les mains sur les bras de sa chaise, s’apprêtant à se lever. Devant la mine déçue de l’écolier, il demanda :
— Il y a autre chose ?
— J’écris mon journal. Cela tient-il aussi de ma vanité ?
La perplexité de son interlocuteur l’amena à préciser:
— Je peux vous le faire lire, si vous voulez.
— Tu l’apporteras la prochaine fois. Maintenant, je dois parler à mes vicaires.
L’homme se leva pour se diriger vers la porte.
— Auparavant, voulez-vous me bénir ?
Prestement, l’adolescent tomba à genoux, la tête baissée.
Le prêtre se remémora sa nièce, arrogante et provocatrice par sa seule existence. Comme ce visiteur affichait une attitude plus convenable ! « Celle-là, c’est la championne du péché d’orgueil », songea-t-il.
Il traça une croix dans les airs. Quelque part dans la grande demeure silencieuse, une horloge égrenait les secondes.
Chapitre 12
Les trois enfants du couple Dupire entamaient leur seconde semaine à l’école. Jeanne se donna la permission de quitter la maison une partie de l’après-midi. Si cette absence devait entraîner son congédiement, elle accueillerait la chose comme une bonne nouvelle. Un peu après une heure trente, elle agita le heurtoir en bronze contre la porte de la pension Sainte-Geneviève.
— Bonjour, dit Elisabeth en ouvrant. Je suis heureuse de te revoir.
Depuis plus de dix ans, elles se croisaient très rarement dans la rue, ou alors sur le parvis de la cathédrale, les quelques fois où la femme assistait à la basse-messe.
— Madame, je suis désolée de vous déranger ainsi.
Si la propriétaire de la pension s’en tenait à l’approche familière convenant entre maîtresse de maison et domestique, Jeanne affichait tout aussi naturellement la déférence qu’exigeait sa condition.
— Tu ne me déranges pas, la rassura Elisabeth. Je suis
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