Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
plus polie, la religieuse revint à l’entrée chercher la visiteuse. Marchant derrière elle, en voyant le gros derrière dont le mouvement rappelait le dandinement d’un canard, celle-ci songea à l’histoire de sœur Sainte-Sophie. Son guide ne courait guère le risque de soulever la concupiscence de l’un des quelques habitants de ces lieux
    lugubres.
    En
    conséquence,
    on
    ne
    l’enverrait
    jamais chez les Esquimaux pour expier une faute.
    Quand elle pénétra dans le bureau, Emile Buteau quitta sa place pour venir vers elle, la main tendue, la paume tournée vers le sol. «Il me présente son anneau à baiser», songea la visiteuse. Se plier à cet usage lui aurait écorché les lèvres. A la place, elle serra la main en disant:
    — C’est si gentil à vous de me recevoir, mon oncle.
    Le rappel du lien de parenté devait lui faire pardonner l’accroc au respect dû à Sa Grandeur. L’autre ne se montra pas trop déçu.
    — Prends ce fauteuil.
    Le passage au tutoiement, chez une autre personne que cet ecclésiastique morose, aurait signifié un désir de rapprochement, un rappel de leurs liens. Le prêtre l’utilisait pour marquer sa supériorité, en particulier dans ses rapports avec une jolie femme. Le mépris servait de barricade à ses sens. Il reprit sa place derrière le lourd bureau encombré de feuilles de papier couvertes d’une écriture serrée.
    — Thalie, après toutes ces années, je ne t’aurais pas reconnue, si ce n’était ta ressemblance avec Marie.
    — Pourtant, les gens évoquent plus volontiers une ressemblance avec papa.
    Monseigneur Buteau se souvenait fort bien de son entretien avec ce mécréant.
    — Ici, ici et ici...
    De la main, il montrait la mâchoire, le menton, la bouche.
    — ... C’est vrai, certains de tes traits me rappellent Alfred Picard. Mais les yeux et le front sont tout à fait ceux de ma sœur.
    Après l’avoir vu reconnaître ainsi ses liens de parenté avec lui, la jeune femme se sentit un peu rassurée. Cette conversation se déroulerait peut-être sur un ton plus sympathique.
    — Maintenant, vas-tu me dire ce qui t’amène ?
    — Bien sûr... quoique je doive prendre garde au secret professionnel.
    L’ecclésiastique tiqua un peu devant la prétention d’une femme à occuper une profession. Cela tenait de l’hérésie.
    — L’un de vos paroissiens, Raymond Lavallée, est venu me voir la semaine dernière pour une consultation.
    D’un signe de la tête, Buteau fit un geste d’assentiment.
    — Au cours de l’examen, j’ai remarqué qu’il portait un cilice. De plus, son corps montrait quelques blessures. Le garçon se les inflige en guise de mortification.
    L’homme posait sur elle des yeux sévères.
    — J’entends ce que tu me dis, mais je ne vois pas pourquoi tu me confies tout cela.
    — ... Il fait cela pour éloigner la tentation.
    — Ces sacrifices servent justement cette fin ! Les croyants les acceptent pour se rapprocher de Dieu et éloigner le démon.
    Thalie se demanda si son interlocuteur ne portait pas lui-même un cilice. «Non, conclut-elle après réflexion. Sa mine sinistre tient sans doute à la dyspepsie, ou à la mauvaise conscience. »
    — Il s’agit encore d’un enfant, insista-t-elle.
    — A seize ans, on est peut-être un enfant dans la Haute-Ville.
    Ici, les garçons et les filles gagnent leur vie, à cet âge.
    — Cela n’en fait pas des adultes pour autant. A titre de pasteur, vous pourriez l’inciter à plus de retenue. Il risque de compromettre sa santé.
    — Ce garçon est certainement capable de mesurer ses actions. Il a l’âge de raison.
    Maintenant, monseigneur Buteau regardait sa nièce avec une certaine curiosité. Elle argumentait avec lui, gardant ses yeux dans les siens, sûre de sa compétence. Pareille prétention chez une femme, devant un homme en plus, lui paraissait scandaleuse. Le sexe faible devait se soumettre au sexe fort: c’était dans l’ordre des choses voulu par Dieu.
    Celle-là confinait au sacrilège en exposant un membre du clergé à sa morgue. Surtout, il ne s’agissait plus d’une femme, mais de l’un de ces êtres hybrides, monstrueux, nés du féminisme.
    — Il parle du diable comme d’une entité réelle, insista Thalie. Il l’appelle Chariot, le voit dans sa chambre. Ce n’est pas le signe d’un esprit équilibré, cela.
    — Jean-Marie-Baptiste Vianney, le saint curé d’Ars, affrontait le diable toutes les nuits, dans sa chambre. Il lui livrait des

Weitere Kostenlose Bücher