Thalie et les âmes d'élite
ce soir ?
— A une condition : vous venez souper avec nous.
— Je ne veux pas m’imposer.
Le jeune homme laissa échapper un rire bref, comme si la prétention était un peu ridicule.
— Ma tante, dit-il en baissant la voix, nous parlerons du sujet de ton excitation un verre de porto à la main.
Ils raccrochèrent après avoir convenu de l’heure de son arrivée.
*****
Un peu avant sept heures, le trio faisait honneur au repas préparé par Flavie.
— C’est vraiment succulent, dit la visiteuse.
— Oh ! C’est de la cuisine bien ordinaire, répondit la jeune épouse en rougissant. Tu as reçu Wilfrid Laurier à ta table.
Entre eux, sans oreille indiscrète, ils utilisaient le tutoiement sans hésiter. Ils avaient pris l’habitude de ces changements rapides de niveau de langage à la pension Sainte-Geneviève.
— Comme le pauvre homme est mort, tu ne risques pas de devoir l’inviter. Mais si c’était possible, il dirait que ta nourriture est très bonne.
— Tu disais succulente, tout à l’heure, déclara la jeune femme, des plis joyeux à la commissure des yeux.
— Mais je ne suis pas Laurier, je n’ai pas mangé à la table de la reine Victoria. J’aime la cuisine de tous les jours.
Cette fois, la jeune hôtesse rit franchement, tout à fait rassurée sur ses progrès.
—Je découvre la petite épicerie Bardou, précisa-t-elle.
Gertrude se moque de moi et soutient que l’établissement de Moisan suffit très bien à gâter les occupants de l’appartement de la rue de la Fabrique.
— Pourtant, Bardou est tout près du logis de tes beaux-parents, coin Couillard et Sainte-Famille. Dommage de penser qu’ils se privent de ces trouvailles. Moi, je me donne la peine d’y aller toutes les semaines.
Rassurée sur son bon goût, Flavie se sentit plus confiante.
La conversation porta ensuite sur l’intérieur confortable de la maison et la naissance à venir. Elisabeth ressentait un pincement au cœur, le regret de ne pas avoir eu d’enfant.
Elle se promettait de jouer à la grand-tante généreuse auprès de celui-là.
*****
À neuf heures, l’invitée se retira avec Mathieu dans le boudoir aménagé en bureau.
— Te voilà bien installé.
— Ce n’est pas aussi imposant que chez Fernand, j’en ai bien peur.
— Mais ce n’est pas aussi sinistre. L’un compense l’autre.
Mathieu songea que la morosité chez les Dupire tenait moins au décor qu’à la présence d’Eugénie.
Après quelques commentaires sur la décoration intérieure, la visiteuse entra dans le vif du sujet:
— Une maison semble disponible dans la rue parallèle à la mienne, la rue Saint-Denis. Je crois avoir déjà abordé mon projet avec toi. J’aimerais agrandir.
— La rue voisine ? Ce sera un curieux agrandissement.
— La façade de cette demeure donne sur la rue voisine, mais l’arrière, sur mon petit jardin. Ce serait très bien pour mes projets.
— Je comprends. Cela pourrait même ajouter un certain charme à ta pension.
Mathieu se souvenait très bien du jardin pour l’avoir eu sous ses fenêtres pendant des années. La maison située à l’arrière lui paraissait elle-même solide, bien construite, dotée aussi de son petit carré de verdure. Des tables permettraient aux locataires de profiter des mois d’été.
— As-tu parlé au propriétaire de la maison à vendre de ton projet ?
— Pas un mot. Je me demande même si la demeure se trouve déjà sur le marché.
— Alors, comment sais-tu qu’elle le sera ?
— Les ragots de domestiques.
Mathieu plissa le front, soudainement inquiet de la fiabilité des sources de sa cliente. Celle-ci, bien installée dans son fauteuil, eut un rire amusé.
— Ne t’inquiète pas, je suis plutôt confiante. Vois-tu, le propriétaire a renvoyé son personnel dès la mort de son épouse. Cela a suscité un petit émoi chez mes employées.
— Dans ce cas, je veux bien te croire. Je servirai d’intermédiaire, si tu le désires. Autrement, si ces gens savent que tu es intéressée, ils monteront leur prix.
— Je comprends.
Elle se redressa sur son siège, soudainement un peu mal à l’aise.
— Pour payer cette acquisition, je devrai me défaire de ma part du magasin PICARD.
— Comme j’en ai une aussi, je suis en mesure de t’assurer que le montant sera suffisant.
Ce fut au tour de Mathieu de trahir son malaise. Il continua, après un silence embarrassé :
— Tu sais que je meurs d’envie de l’acheter.
— Je
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