Thalie et les âmes d'élite

sais.
    — De son côté, Edouard...
    — Il a dû me la demander une centaine de fois depuis 1919.
    L’homme hocha la tête. « Entre son neveu et un fils, le choix sera facile à faire », songea-t-il.
    — Je comprends, admit-il après une pause inconfortable.
    — Je ne lui ai jamais répondu par l’affirmative. En réalité, je serais disposée à te la céder, si bien sûr tu peux te le permettre, après l’achat de cette demeure. Je tiens à recevoir la valeur réelle de cette part.
    La plus grande surprise se peignit sur le visage du jeune homme.
    — Tu sais bien que je me suis prise d’affection pour toi et Flavie, au fil des ans, expliqua-t-elle.
    — Une affection réciproque, je t’assure.
    De la main, elle lui fit signe de se taire. Le moment ne prêtait pas à une surenchère d’épanchements.
    — Il y a aussi une autre raison. Thomas s’est très mal comporté avec Marie, et en conséquence avec toi. Si je peux réparer un peu le tort de cette façon, j’espère que cela vaudra un meilleur sort à son âme, dans l’au-delà.
    Si la vente d’actions permettait d’abréger un séjour dans le purgatoire, les bons prêtres du Petit Séminaire n’en avaient pas glissé un mot à Mathieu. Il murmura :

    — Je crois que je pourrais me le permettre, Elisabeth.
    Evidemment, je devrai emprunter. Je n’en aurai donc pas la certitude avant quelques jours.
    — De toute façon, le mieux serait de t’assurer d’abord que cette maison est bien à vendre. Pourras-tu t’en charger ?
    — Je passerai demain soir en rentrant du bureau.
    Ils se regardèrent sans dire un mot, un peu troublés.
    — Je ne sais pas quoi dire, confia le jeune homme.
    — Mon vieux manuel de civilités recommande, dans ces cas-là, de se taire.
    — Il permet certainement de formuler des remerciements sincères.
    Elle acquiesça d’un signe de la tête, un sourire aux lèvres.
    — Maintenant, allons rejoindre Flavie, déclara-t-elle.
    La pauvre doit attendre mon départ pour aller au lit.
    — Selon ma sœur, le mieux pour une femme enceinte est de demeurer active, répondit Mathieu en se levant. Et elle obéit à son médecin à la lettre.
    La jeune femme les attendait, une revue américaine à la main. Elle leur offrit un alcool, se contentant pour sa part d’un peu d’eau. Après une heure de conversation plaisante, Elisabeth déclara devoir rentrer chez elle. En lui faisant la bise, le maître des lieux lui chuchota :
    — Merci encore. Tu es très généreuse.
    — C’est à moi de vous remercier tous les deux pour cette charmante soirée.
    En prenant Flavie dans ses bras, elle continua :
    — Ma belle, continue de nous tricoter un bébé en bonne santé.
    — Tu vas rentrer toute seule ? Mathieu peut te raccompagner.
    — Je suis venue avec ma belle Chevrolet. Elle roule si peu, alors je lui fais faire de l’exercice. Je vais retourner à la maison comme une grande fille. Merci encore.
    Sur un souhait de bonne nuit, elle les quitta. Lorsque l’homme s’apprêta à rapporter les verres vides dans la cuisine, sa femme demanda :
    — A quoi tenaient ces remerciements ?
    — Ça, j’en aurai pour une partie de la nuit à te l’expliquer.
    Sur ces mots, il remit d’abord de l’ordre dans la maison.

    *****
    En arrivant au bureau le lendemain matin, le premier souci de Mathieu fut de prendre rendez-vous avec Fernand pour le soir même, afin d’obtenir à la fois ses conseils et son soutien. Le jeune homme patienta longtemps sur la galerie après avoir frappé à la porte de l’étude de la rue Scott.
    — Excuse-moi, déclara le notaire en ouvrant lui-même.
    Nous
    avons
    toujours
    des
    problèmes
    de
    personnel
    domestique.
    Au cours de l’année de cléricature passée ici, le jeune homme en avait appris plus qu’il ne le désirait sur la vie de ce ménage. « Problèmes domestiques » lui aurait paru une expression plus juste.
    — C’est plutôt à moi de m’excuser de venir à une heure tardive.
    — Tu sais bien que, dans ce métier, recevoir des clients le soir est inévitable.
    Les deux hommes pénétrèrent dans le grand bureau.
    Comme Mathieu examinait les lieux, son hôte déclara :
    — Si tu veux revenir, comme collègue cette fois, tu es le bienvenu. Dans quelques années, tu deviendrais mon associé.
    — Je te remercie, mais ma position actuelle me semble idéale. Faire du droit sans fréquenter de criminels me comble tout à fait.
    Fernand lui désigna une chaise, puis prit sa place