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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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affront.
    Cette seule idée lui donnait envie de vomir. Assise bien droite, les genoux collés l’un contre l’autre et tenant son sac à main sur son giron, elle regrettait maintenant d’être venue.
    — L’affront, comme vous dites, ne change rien à votre devoir. Car en réalité, à la suite de votre mariage, votre époux vous témoignait son... intérêt. Vos trois grossesses rapprochées en sont la preuve. Si, au début de cette période d’abstinence, votre santé justifiait votre attitude, vous refuser maintenant à lui serait pécher gravement contre le sacrement du mariage.
    « Devrai-je retrouver cette garce et la faire revenir à la maison ? » se demanda l’épouse. Entre deux maux, subir le gros corps de Fernand sur le sien lui paraissait être le pire.
    — Je ne pense pas qu’il voudra se rapprocher de moi, émit-elle dans un souffle.
    — Votre devoir est de lui signifier votre désir que cela se produise.
    Même si l’idée la révulsait, elle hocha la tête en bonne chrétienne.

    *****
L’Œuvre Notre-Dame-du-Bon-Conseil se trouvait dans la paroisse Saint-Roch, juste en face de la gare du Canadien Pacifique. Monseigneur Buteau avait souhaité encadrer les jeunes femmes des campagnes de tout l’est de la province de Québec désireuses de venir gagner leur vie en ville.
    Autrement, celles-ci risquaient de loger dans de mauvais lieux ou de travailler dans des entreprises délétères pour leur âme.
    Eugénie Dupire descendit vers la Basse-Ville en tramway, repéra sans trop de mal le grand édifice gris de la rue Saint-Paul, au coin de la rue Lacroix. Une religieuse la reçut dans un petit bureau du rez-de-chaussée. Les soeurs de la Charité trouvaient ici une nouvelle mission où faire valoir leur générosité.
    — Vous cherchez à la fois une cuisinière et une bonne ?
    Avez-vous congédié tout votre personnel ?
    La voix trahissait de sombres soupçons.
    — Non, ce n’est pas cela. Nous avions une domestique, elle nous a quittés. Nous en avons une autre trop vieille pour travailler. En fait, elle tient maintenant compagnie à ma belle-mère. Comme elle se trouve dans la maison depuis cinquante ans, impossible de lui demander de partir.
    — Oh ! C’est très généreux de votre part.
    Cette sorte d’arrangement n’était pas si rare. La visiteuse baissa les yeux avec modestie. Jamais elle n’hésitait à se targuer des bonnes actions des autres.
    — Comment recrutez-vous les jeunes filles ? demanda-t-elle.
    — Nous nous faisons connaître grâce à des articles dans L’Action catholique, ou à une correspondance avec les presbytères. Si une femme de la campagne fait part à son curé de son intention de venir travailler à Québec, celui-ci lui donne notre adresse. Tous les jours, on frappe à notre porte.
    — Vous êtes en mesure de les loger ici ?
    — Une nuit, deux tout au plus, ou encore nous leur recommandons une maison de chambres bien tenue.
    Normalement, ces femmes ne sont pas longues à trouver un emploi.
    De toute façon, les moins chanceuses, sans un sou en poche, devaient bien vite rentrer chez elles, un peu honteuses. La crainte
    de
    cette
    éventualité
    suffisait
    à
    convaincre
    la plupart d’accepter la première position offerte.
    — ... Et en ce qui concerne mes besoins ?
    — La recherche d’une bonne ne posera aucune difficulté.

    Les filles de quinze à vingt ans sont les plus nombreuses à descendre à la gare. Mais dans le cas de la cuisinière...
    A moins de tomber sur l’idiote du village, toutes les jeunes filles savaient chasser la poussière, faire les lits et curer les planchers. Servir à table se montrait juste un peu plus exigeant. Mais préparer un repas pour une famille bourgeoise représentait un tout autre niveau de difficulté.
    — Ce genre de compétence devient une denrée rare...
    — Mais j’ai trois enfants, sans compter les adultes de la maison !
    La religieuse contempla la visiteuse un moment. Qu’une femme de trente-cinq ans ne sache pas se débrouiller dans une cuisine lui paraissait une hérésie.
    — Nous avons bien une dame ici depuis trois ou quatre jours. Son époux est mort le mois dernier, elle a dû quitter sa paroisse, sans argent.
    — Elle est capable de faire à manger ?
    — Elle a conduit ses enfants à l’âge adulte. Enfin, la moitié d’entre eux. Et les autres ne sont pas morts de faim.
    Sœur Sainte-Rita s’apprêtait à demander à cette pauvre femme de quitter les lieux pour retourner dans

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