Thalie et les âmes d'élite
joues de Jeanne.
— Je serai là pour vous.
Ces mots scellaient leur entente pour une nouvelle période de leur vie.
*****
Au dîner, la famille Dupire avait dû se contenter de sandwichs au jambon. Même si les tranches de pain se révélaient d’une épaisseur inégale, Eugénie ne risquait pas de gâcher la recette. Pour le souper, elle avait couru de plus grands risques en préparant une omelette.
— Je veux Jeanne, répéta Charles pour la dixième fois.
— Voyons, Jeanne a préféré aller travailler ailleurs, dit sa mère. Mais tu vas voir, nous allons très bien nous débrouiller sans elle.
De l’autre côté de la table, Béatrice renifla bruyamment.
— C’est mauvais, conclut Charles en repoussant son assiette, pour ensuite croiser les bras.
— Mange un peu, dit Eugénie. Personne ne peut rater une omelette.
— Oh ! Mais si, toi, tu peux, bredouilla Antoine.
Les deux se livrèrent un autre duel des yeux. Finalement, ce fut l’adulte qui céda. Après une bouchée, elle dit encore :
— Dans la Basse-Ville, il y a une nouvelle œuvre catholique destinée au placement des jeunes filles qui arrivent de la campagne. J’irai demain afin d’embaucher une cuisinière et une bonne.
Mieux valait faire vite. Il ne restait plus un œuf dans la glacière, et la maîtresse de la maison n’avait jamais fait de courses au marché. Sans renfort, sous peu la famille vivrait une diète sévère.
— Tiens, tu as besoin de deux personnes, maintenant, grommela Fernand.
— Si la domestique de ta mère faisait sa part du travail, seule une cuisinière suffirait.
— Comme tu ne la paies pas, et moi non plus d’ailleurs, cela ne regarde que ma mère.
Aujourd’hui, l’aïeule avait décidé de prendre ses repas dans sa chambre avec sa «dame de compagnie». Les Dupire n’avaient pas à mesurer leurs paroles. Au décès de son mari, la veuve avait hérité de la moitié de son avoir. Cela lui permettait de
contribuer
financièrement
aux
dépenses
de
la
maison et de s’offrir une domestique aux tâches limitées.
— Une maisonnée comme la nôtre nécessite l’emploi d’une cuisinière et d’une bonne, articula Eugénie avec colère. En deçà de ça, tu feras jaser tous tes voisins.
Seule la mine malheureuse de ses enfants décida le notaire à abandonner cet affrontement.
*****
Après un déjeuner morose composé de tartines et de thé, Eugénie ajourna un peu sa recherche de personnel domestique pour se rendre auprès de son conseiller spirituel, un vieux chanoine de la cathédrale de Québec.
— Enfin, cette femme impure a quitté la maison, maugréa-t-elle entre ses dents après avoir accepté un siège.
Le regard de l’ecclésiastique l’amena à chuchoter :
— Excusez-moi, mon père, mais je suis si heureuse qu’elle ait quitté les lieux. Voilà des années que mon mari maintenait sa maîtresse sous notre toit.
Même si les Dupire appartenaient à la paroisse Saint-Dominique depuis deux ans, la jeune femme continuait de fréquenter la basilique. Raconter les avatars de sa vie conjugale à une nouvelle personne était au-dessus de ses forces, plaidait-elle pour garder ses vieilles habitudes.
— Maintenant, que ferez-vous ? demanda le prêtre.
— ... Embaucher de nouvelles personnes. Je me dirigeais justement vers l’Œuvre Notre-Dame-du-Bon-Conseil...
— Ce n’est pas ce que je veux dire. Vous ne venez pas ici pour discuter de votre personnel. Que ferez-vous en regard de votre mariage ?
La jeune femme garda un long silence.
— J’ignore ce que vous voulez savoir..., mentit-elle.
— Nous n’allons pas jouer à ce genre de petit jeu, n’est-ce pas ? Toute cette histoire a commencé par votre décision de chasser votre mari du lit conjugal. C’est beaucoup plus tard
qu’une
autre
femme
est
apparue
dans
le
décor.
— Nous avons pris nos distances sur la recommandation de mon médecin, je vous l’ai déjà expliqué. Je sortais de trois grossesses difficiles, aussi le docteur Hamelin...
— Il y a bien sept ans de cela, si je compte bien. Vous avez eu tout le temps de vous refaire une santé, depuis.
Eugénie baissa les yeux, incapable de trouver un bon argument.
— Pendant des années, il a eu une maîtresse...
— Vous ne pouvez être certaine de ce qui se passait entre eux. La jeune femme préféra ignorer la remarque.
— Je ne peux tout de même pas le recevoir maintenant dans mon lit et lui ouvrir les bras. Pas après un pareil
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