Théodoric le Grand
Strabo, à l’heure qu’il est ?
demandai-je.
— De l’autre côté du Danuvius, à une journée de cheval
au nord, près d’un village appelé Romula. Si j’en crois mes speculatores [53] , il a mis
en demeure cette bourgade de lui fournir des victuailles, et s’est établi près
d’un point d’eau situé à proximité. Durant ton absence, il n’a cessé d’accroître
les effectifs de ses troupes, petit à petit. Ses quelques anciens alliés restés
fidèles ont été rejoints par d’autres, qui le sont redevenus. Plus des restes
de l’armée sarmate que nous avions défaite, et qui depuis se méfient de nous.
Sans compter, ici ou là, de petites tribus rêvant de grandeur, auxquelles il a
dû promettre monts et merveilles. Mais l’essentiel de ses troupes, tu dois le
savoir, est constitué des Ruges de l’ambitieux roi Feva.
Marquant une pause, Théodoric éclata de rire, puis il
reprit :
— Même si cela me coûte de lui reconnaître ce mérite,
je dois admettre que mon cousin Triarius ne manque pas de ressource. Vu sa
condition de cochon humain, mutilé comme il l’est, il a réussi à rallier à lui
ces troupes de vauriens sans qu’aucun d’eux ne l’ait jamais vu de ses yeux.
— Et sans se rendre compte, ajoutai-je, de
l’aventureuse ineptie de cette expédition. Car Strabo ne peut que perdre. Sans
compter ton armée régulière, tu peux faire appel à toutes les légions romaines
stationnées dans les forteresses du fleuve pour lui tomber dessus.
— Bien sûr. L’empereur Zénon lui-même m’a offert, si
nécessaire, de mettre à ma disposition toutes les légions de l’Empire d’Orient.
Mais je préfère ne rien lui devoir. Ja , aucun doute, il s’agit de la part
de mon cousin d’une sorte de baroud d’honneur. C’est pourquoi il a préféré
jusqu’ici différer son attaque. Il espère que ses gesticulations, et la
véritable menace qu’il constitue désormais, suffiront à lui valoir quelques
concessions. Quelques terres pour les Ostrogoths qui lui sont restés loyaux.
Une petite part de pouvoir personnel. Et rien pour ses alliés pleins
d’espoir : dans la mesure où ils auront servi ses desseins, il n’ira pas
pleurer sur leur sort.
Théodoric rit de nouveau, et me donna une tape amicale sur
l’épaule.
— Bien ! Préparons-nous à les décevoir tous !
Il gagna la porte de la salle du trône et lança des ordres à
un page. Nous fûmes bientôt rejoints par les principaux chefs militaires, dont
certains m’étaient déjà connus, et Théodoric distribua sans tarder ses
instructions.
— Pitzias, prépare la traversée du Danuvius par le gros
de notre armée. Ibba, charge tes centurions de disposer ces hommes en ordre de
bataille hors d’atteinte des flèches, tout autour de Romula. Comme l’ennemi ne
va pas tarder à mettre en place ses propres formations, tu vas prendre le
drapeau blanc, Herduic, et aller demander à Strabo une entrevue. Dis-lui que je
désire parlementer avant d’engager la bataille. Dis-lui que je souhaite que le
roi Feva y assiste également. Aussitôt après, vous nous trouverez, moi et mes
maréchaux Thorn et Soas, devant Romula. Allez, et exécutez mes ordres. Habdi
ita swe !
Ils saluèrent promptement et partirent. Théodoric me dit
alors :
— Je ne vais pas te retenir pour l’instant, Thorn. Tu
dois être impatient de te tremper dans des thermes chauds et d’enfiler des
vêtements propres. Mais il me tarde d’entendre le récit de ton autre quête,
historique celle-là. Viens ce soir pour le nahtamats et nous prendrons
le temps de nous entretenir longuement et tranquillement. Tu peux amener le
prince Frido, si tu veux.
— Ne, évitons de le perturber. Il pense que je
suis au service de Théodoric Strabo. Même en louchant, tu aurais du mal à te
faire passer pour lui. Frido est très bien dans ma ferme, on veille sur lui et
il ne manque de rien. Avec ta permission, il y restera jusqu’à ce que nous
prenions la route pour Romula.
Je regagnai donc mon domaine, et m’octroyai le plaisir d’un
bon bain de vapeur le restant de la journée. Puis je revêtis ma plus belle
tenue de Thorn. Avant de retourner au palais, je fis un bref détour par ma
maison de Novae, histoire de m’assurer que tout y était intact, et pour y
déposer les vêtements de Veleda que j’avais transportés un peu partout sur le
continent.
Dans le triclinium du palais, devant un somptueux
repas arrosé d’un excellent vin, je fis à
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