Théodoric le Grand
nom, mais marmonna :
— Il est resté un Romain loyal, et l’on n’est jamais
trop vieux pour servir bravement sa patrie.
Je me souvins de la remarque de Soas au sujet de ces
expatriés toujours enclins à interférer dans les affaires du pays natal, à
bonne distance. Mais sans perdre mon temps à demander les raisons qui avaient
poussé Georgius XIII ou XIV à se mettre au service du proscrit Odoacre, je
lâchai simplement :
— Je n’ai aucune admiration pour la bravoure par
sous-fifres interposés. Georgius vous a chargé d’exécuter sa propre trahison.
Ainsi que votre frère, je présume. Où se cache-t-il, celui-là ?
— Qui êtes-vous ? cria le jeune homme d’une voix
rauque, me lorgnant du coin de l’œil. Je vous connais ?
Comme je ne répondais pas, il marmotta :
— Mon frère et moi nous nous relayons de temps en
temps. Rien ne nous y oblige ; il y a bien assez d’autres muletiers. Mais
nous le faisons par fierté… pour notre patrie… pour participer…
— Et prendre un peu le large de votre sympathique père,
à l’occasion, suggérai-je froidement. Je serai donc très heureux de faire
prochainement la connaissance de votre frère. Et votre sœur ? Prête-t-elle
la main à la bravoure tant vantée de votre père, elle aussi ?
— Mais enfin, qui êtes-vous ?
Devant mon sourire muet, il répliqua, maussade :
— Elle s’est mariée, il y a des années de cela… Un
riche marchand… et elle a quitté la maison.
— Quel dommage, fis-je. Elle méritait mieux qu’un
marchand. Mais elle aura au moins réussi à se débarrasser de sa famille de
pleutres. Quant à vous et votre frère, je parierais que vous n’avez jamais été
mariés, je me trompe ? Georgius ne se serait jamais séparé de ses deux
plus abjects esclaves.
Il ne répondit pas, mais ses yeux s’écarquillèrent de
stupéfaction lorsque je crachai d’un ton sec :
— Ôtez vos vêtements.
Sans attendre qu’il s’exécute, j’ordonnai à l’ optio Landerit :
— Quand tous les passeurs se seront déshabillés,
fourrez-les dans les sacs à la place des provisions confisquées. Puis remettez
du sel par-dessus. Dès que ce sera fait, envoyez le centurion Gudahals dans ma
tente.
Nous avions intercepté pratiquement en même temps deux
caravanes de mules : celle-ci bien chargée venue du nord, et une autre
rentrant de Ravenne où elle était allée déposer sa cargaison. Nous détenions
donc dix muletiers et une quarantaine de mules. Quand Gudahals apparut dans ma
tente, ses yeux bovins regardaient encore à la dérobée les contrebandiers
captifs qu’on enfonçait de force dans de gros sacs de toile et qui poussaient
des cris d’orfraie, implorant notre pitié et suppliant qu’on les épargne. Il
était sans doute persuadé qu’on allait lui faire subir le même sort, aussi sa
face bovine s’éclaira-t-elle dès que je lui annonçai :
— Centurion, je vais vous donner une occasion de vous
racheter.
Il se mit à gémir de gratitude, mais je l’interrompis du
geste.
— Vous allez prendre quatre cavaliers et foncer vers le
nord, par la Via Popilia, puis la Via Augusta, le long de la vallée du Dravus à
travers les Alpes, pour rallier Haustaths, dans la région saline d’où sont
venus les contrebandiers.
Je lui donnai d’utiles détails pour retrouver la mine et lui
fis de mémoire une description aussi précise que possible de Georgius
Honoratus.
— Vous ramènerez cet homme avec vous et le livrerez à Théodoric
ou à moi-même, à l’exclusion de tout autre officier de rang inférieur.
Attention, ce doit être un vieillard à présent, aussi évitez toute brutalité
inutile. Je pense que Théodoric préférerait le voir en bonne forme quand il le
fera clouer au patibulum. Cela dit, je vous préviens : si vous ne
trouvez pas Georgius, si pour une raison ou une autre vous ne parvenez pas à le
capturer ou si le moindre dommage devait lui arriver sur le chemin du retour…
J’attendis que Gudahals se mît à transpirer et j’achevai :
— Je vous conseille alors d’éviter de rentrer.
Le centurion aurait sans doute précipité le mouvement pour
me saluer et courir vers son cheval, mais j’avais d’autres instructions :
— Je ne pense pas que les victuailles que nous avons
saisies proviennent d’Haustaths. Les bêtes ainsi chargées n’auraient pas
supporté un trajet aussi long. Je pense qu’elles sont parties avec un
chargement de sel, et que
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