Théodoric le Grand
distinction ? Peux-tu
imaginer une seconde que mon aisance y survivrait ? Crois-tu que je
garderais ma propriété ? Ne, je ne renoncerai pas à tout ce que je
possède, juste pour le plaisir d’afficher mon défi aux yeux du monde entier.
Je m’aperçus que je me comportais là en parfait
chrétien : insistant sur la nécessité d’être bon et de faire le bien,
juste pour en obtenir la récompense promise. Aussi ajoutai-je :
— Théodoric et moi sommes devenus amis bien avant qu’il
n’accède au titre de roi ; ensuite, je lui ai prêté serment de fidélité,
et il m’a élevé au grade de maréchal. La première fois que nous nous sommes
rencontrés, il m’a sauvé de la morsure d’une vipère. Je lui dois donc la vie,
et plus que le lien de vassalité qui me lie à mon roi, je lui suis redevable de
la loyauté qu’un homme doit à un camarade. En acceptant les privilèges afférant
à mon rang d ’herizogo, j’en ai aussi accepté les responsabilités. Et
au-delà même de tout cela, j’ai un certain respect de moi-même. J’ai endossé
cette mission, je la mènerai à bien. Tu peux venir avec moi, Thor, ou bien
rester ici à m’attendre. À toi de choisir !
Ces paroles sonnaient certes comme fermes et impérieuses,
elles n’en éludaient pas moins piteusement une autre alternative : que
Thor retourne à Tolosa ou s’en aille ailleurs, et me quitte à jamais. Et, j’ai
eu l’occasion de le dire, j’étais déjà sous influence. Bien qu’il ne fut pas
dupe de mon éviction du troisième choix possible, loin de se donner le plaisir
d’insister sur ce point, il se réfugia dans un silence boudeur. Aussi, pendant
que j’attendais non sans anxiété qu’il me répondît : « Je viens avec
toi » ou « Je t’attendrai », je fis cette simple remarque :
— Note-le bien, ma compagne Swanilda était aussi une cosmeta. D’abord au service de la sœur de Théodoric, une princesse, puis à celui de…
Thor réagit alors avec véhémence :
— Vái ! Tu exiges de ma part une entière
fidélité, mais tu te trimballes avec cette catin depuis que tu as quitté
Novae !
Je tentai de protester :
— Jamais je n’ai exigé de ta part…
— Tu m’as dit tout à l’heure que je n’aurais plus
besoin de me cacher. Ni d’errer à l’aventure. Et voilà que tu m’annonces que
dorénavant, je devrai te partager avec cette souillon ?
— Ne, ne, fis-je, irrésolu. Ce ne serait
équitable et honnête ni pour l’un, ni pour l’autre. D’ailleurs, anticipant sur
le fait que tu viendrais avec moi, j’ai déjà parlé à Swanilda… insinuant que je
pourrais bientôt me dispenser de sa compagnie…
— J’espère bien ! Et qui est ce Lombric dont tu
parles ? Ton concubin masculin, cette fois ?
Je ne pus m’empêcher de rire à cette absurde évocation,
entamant du même coup la sévère circonspection de Thor, et mis les choses au
net :
— Maintenant écoute-moi bien ! Lorsque tu as dit
que nus et débarrassés de nos attributs, nous étions égaux, tu avais raison, je
te l’accorde. Si nous devons désormais former un couple tous les deux, je
promets de ne pas me conduire en mari dominateur, ni en femme autoritaire. Mais
ce doit être réciproque. Et garde ceci bien présent dans ta mémoire : ma
mission est une quête. J’emmènerai avec moi qui je désire, et quel que soit
notre nombre, lorsqu’il s’agira de prendre une décision ou de donner un ordre,
je serai le seul chef.
— Vái, vái, concéda Thor, à nouveau conciliant.
Une autre querelle à l’horizon ? Pourquoi multiplier les sujets de
discorde, Thorn, et gâcher ainsi notre première précieuse nuit ? Allons,
envoyons un baiser à ces contrariétés chagrines, et reprenons ce que nous
faisions…
— Tout de même, Thor… L’aube doit être déjà levée.
— Et alors ? Nous dormirons quand nous tomberons à
court de forces ou d’imagination, et que nous n’aurons plus rien de mieux à
faire. Ensuite, tu partiras pour ta quête… et ja, bien sûr que je te
suivrai. Mais la piste des Goths est déjà vieille de plusieurs siècles ;
elle peut bien encore attendre un peu. Mes désirs à moi sont… plus urgents. Pas
les tiens, niu ?
Certes, nous n’étions clairement pas amoureux, Thor et moi.
Mais il n’est pas douteux que dès le début de notre mutuelle association, nous
nous trouvâmes, de façon sidérante et presque démente, littéralement obsédés
l’un par
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