Thorn le prédateur
autres, je m’abstins de fourrer mon nez dans ses
affaires. Je dois malgré tout reconnaître à mon tour qu’en ces moments, j’avais
déjà ressenti de curieuses émotions, pensées ou rêves éveillés qui, ne s’étant
jamais produits auparavant, ne laissaient pas de me déconcerter quelque peu,
plus en tout cas que les excentricités de Gudinand.
Au cours des premiers jours de notre rencontre, j’avais
simplement admiré Gudinand comme l’aurait fait n’importe quel garçon plus
jeune ; tout simplement parce qu’il était plus âgé, plus athlétique, qu’il
semblait plus sûr de lui, et ne me prenait pas de haut comme l’aurait peut-être
fait un grand frère, malgré notre différence d’âge. Après quelque temps cependant,
surtout quand nous nous étions tous deux dévêtus, ne gardant que nos
pagnes – à l’occasion d’une course, par exemple, ou quand nous
luttions –, je me surpris à admirer le corps presque nu de Gudinand avec
plus d’intensité que ne l’aurait fait une rougissante adolescente… Je ne voyais
plus que sa beauté, sa musculature, sa grâce masculine et son charme viril.
Il me serait difficile de soutenir que j’en fus si surpris
que cela. J’avais voulu croire que ma moitié féminine était doucement tombée en
sommeil et, devenue passive, s’était timidement retirée. Je découvrais à
présent qu’elle pouvait au contraire manifester des appétits et des envies
aussi impérieuses que ma moitié masculine. Comme lorsque j’avais appris que le
jeune Becga avait été tué, j’étais troublé par la brutale disharmonie de mes
deux composantes. Jusque-là, j’avais seulement éprouvé une certaine difficulté
à soumettre ma part féminine à la domination de mon côté masculin. Mais il
semblait maintenant que celle-ci avait pris le dessus, la partie mâle de mon
individu étant pour ainsi dire réduite au rôle de spectateur, quelque peu
affolée, d’ailleurs, de la tournure que prenaient les événements.
Bientôt, il devint douloureux de retenir ma main de caresser
la peau nue et bronzée de Gudinand, ou d’ébouriffer ses cheveux fauves. Il me
fallut même y mettre toute ma détermination, mais je réussis, je ne sais
comment, à lui dissimuler ces pulsions et ces sentiments. Je savais qu’il
serait abasourdi, déconcerté et sans doute effrayé s’il découvrait cet aspect
de ma personnalité. Et j’accordais suffisamment de valeur à notre amitié pour
ne pas risquer de la mettre en péril pour une satisfaction fugitive de mes
transitoires états d’âme. Sauf qu’en l’occurrence, ce n’étaient pas des états
d’âme et ils n’avaient rien de transitoire. C’étaient des désirs, ardents et
vifs ; s’ils n’avaient été au début que passagers, ils prirent
progressivement possession de moi, même quand nous nous adonnions tous deux à
une activité typiquement masculine, jusqu’à se muer en une faim mordante,
constante et douloureuse, n’attendant plus que d’être assouvie.
Lorsque nous luttions ensemble, j’étais plus souvent qu’à
mon tour étendu vaincu sur le dos. Bien que je fusse plutôt fort pour mon âge,
et d’une taille élancée, Gudinand était à la fois plus lourd et plus adroit,
tant dans les prises que dans les torsions de ce genre de combat athlétique.
Aussi, chaque fois qu’il l’emportait, je faisais semblant de montrer ma
mauvaise humeur et mon dépit d’avoir perdu. En fait, j’avais adoré le sentir
sur moi en position de maître dominateur, mes poignets liés entre ses mains,
mes jambes prises dans les siennes, tous deux haletant alors qu’il me
maintenait aisément prisonnier et qu’il me dominait en me souriant, laissant sa
sueur chaude couler sur mon visage. Dans les rares occasions où ce fut moi qui
l’immobilisai au sol, et que je pus chevaucher son corps étendu sur le dos, je
fus saisi du désir presque irrésistible de me coucher sur lui, de l’étreindre
doucement au lieu de le faire en force, et de rouler sur le dos pour l’amener
sur moi. Je réalisais maintenant, peut-être avec autant de répulsion et pour
ainsi dire d’horreur que n’en aurait eu Gudinand s’il s’en était rendu compte,
que je voulais qu’il me tienne, qu’il me caresse, qu’il m’embrasse, et même
qu’il me possède sexuellement. Mais pendant que mon esprit rationnel se
récriait à l’idée même des choses aussi absurdes, un recoin de mon esprit, qui
l’était bien moins, se sentait comme
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