Thorn le prédateur
qui suit. Cet été à la fois si merveilleux
et si étrange finit par arriver à son terme, et l’automne survint, amenant une
catastrophe. Pour Gudinand, pour Juhiza, et aussi – comment aurait-il pu
en être autrement ? – pour moi.
21
Je ferai observer que je n’étais pas resté oisif durant ces
mois d’été passés à Constantia. Wyrd étant par monts et par vaux, et Gudinand
au travail la majeure partie de la journée, excepté le dimanche, et n’ayant
moi-même pas de travail susceptible de m’occuper, j’avais du temps libre à
revendre. Je ne le perdis pas à demeurer assis dans ma chambre du deversorium, à attendre ma prochaine rencontre avec Gudinand, en tant que Thorn ou comme
Juhiza. Certes, je passai une partie de mon temps soit à aider les palefreniers
à nourrir mon Velox et à prendre soin de lui, soit à leur donner un coup de
main dans l’entretien des cuirs de ma selle et de mes brides, que je savonnais
afin de les garder souples et luisantes.
Mais j’occupai aussi la majeure partie de mon temps libre à
exercer ma curiosité naturelle, à pied ou à cheval, dans l’exploration de
Constantia et de ses environs. Je sortais parfois de la ville à la rencontre
des convois arrivant et de leurs animaux de bât chargés de marchandises, ou
chevauchais au contraire sur plusieurs milles en compagnie d’un de ceux qui
partaient. Je conversais avec ces négociants itinérants, curieux de tout ce
qu’ils pouvaient m’apprendre des contrées qu’ils avaient traversées, comme de
celles où ils se rendaient.
À l’intérieur même de la cité, je flânai à travers marchés
et entrepôts, et fis la connaissance de vendeurs et d’acheteurs de toutes
sortes de biens, ce qui me permit d’étudier avec profit l’art du marchandage.
Je n’hésitai pas à passer un certain temps au marché aux esclaves de la ville,
et finis par entrer dans les bonnes grâces d’un Égyptien qui m’entraîna à part
pour me faire découvrir un produit exclusif et rare, qu’il n’avait nullement
l’intention, me dit-il, de proposer à la vente publique.
— Oukh ! me dit-il (ce qui signifie
« non » en grec). Celle-ci, je la réserve pour une vente privée,
voire secrète… Elle n’est destinée qu’à un acheteur aux goûts très spéciaux… car cette sorte d’esclave est à la fois fort rare, et d’un prix
exorbitant.
Je découvris ce dont il m’entretenait, et ne vis rien
d’autre qu’une fille nue d’à peu près mon âge. Elle était certes fort jolie, et
même ravissante. C’était une Éthiopienne. Je la saluai courtoisement dans
toutes les langues et dialectes que je connaissais, mais elle se contenta de me
sourire, secouant timidement la tête d’un air désolé.
— Elle ne parle que sa langue de naissance, fit le
marchand d’un air indifférent. Je ne sais même pas son nom. Je l’appelle Petit
Singe.
— Ma foi, fis-je, elle est noire, mais hormis cette
couleur un peu exotique, je ne vois pas ce qu’elle peut avoir de si rare. Je
suppose, vu son âge, qu’elle est encore vierge, mais ce n’est pas non plus une
rareté en soi. En outre, elle est incapable de parler au lit… À quelle somme
l’estimez-vous donc ?
L’Égyptien mentionna un prix qui me coupa le souffle. Il
représentait à peu près l’équivalent de tout ce que nous avions pu gagner, Wyrd
et moi, au cours de notre hiver de chasse.
— Dites-moi, mais on pourrait s’acheter une file entière
de jolies vierges, pour ce prix ! m’exclamai-je. Qu’est-ce qui peut bien
expliquer cette valeur invraisemblable ? Et pourquoi ne la réserver qu’à
une vente privée ?
— Ah, jeune maître. Les véritables talents de Petit
Singe demeurent il est vrai invisibles, car ils sont dus à la façon dont elle a
été élevée depuis la naissance. Elle est non seulement noire, non seulement
jolie, non seulement vierge, mais elle est aussi venefica [68] .
— Et cela consiste en quoi ?
Il me l’indiqua, et son histoire était tout simplement
fantastique. Je regardai à nouveau la jeune fille bouche bée, sidéré et presque
incrédule de ce que je venais d’apprendre.
— Liufs Guth ! finis-je par lâcher d’une
voix étouffée. Qui pourrait bien vouloir acheter un tel monstre ?
— Oh, ça viendra, vous verrez, répondit l’Égyptien dans
un haussement d’épaules. Je vais peut-être nourrir et entretenir Petit Singe un
bon moment encore, mais tôt ou tard, quelqu’un en aura
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