Thorn le prédateur
l’utilité, et sera bien
content de me l’acheter le prix que j’en demande. Soyez indulgent de me croire,
jeune maître, si je vous dis qu’un jour, vous pourriez être heureux de savoir
que l’on peut toujours trouver, quand on est prêt à bien chercher et à payer le
prix, une venefica pour son propre usage.
— Je prie Dieu…, murmurai-je, blafard. Je prie tous les
dieux de ne jamais en avoir besoin. Merci à toi, l’Égyptien, d’avoir ainsi
complété mon éducation sur l’horreur humaine.
Et je sortis de chez lui.
*
Aux heures de repas, je fréquentais la taverne préférée des
marchands et des voyageurs, et je mangeais et buvais en leur compagnie, ravi
d’écouter le récit de leurs aventures au fil de la route, leurs vantardises au
sujet des affaires qu’ils avaient pu réaliser, ou au contraire leurs
lamentations sur les regrettables pertes qu’ils avaient dû subir au terme de
leurs équipées.
J’assistai aussi, à l’amphithéâtre de Constantia – qui
est plus petit que celui que j’avais vu à Vesontio –, à des jeux
athlétiques, des courses de chars, de chevaux et des combats de pugilat.
J’appris à engager des paris, et fus heureux d’en remporter de temps à autre.
Je passai de longues heures dans les thermae réservés aux hommes, y
rencontrant des gens avec qui je fis de l’exercice, de la lutte, jouai aux dés,
aux douze lignes, au ludus qui consiste à frapper une balle de feutre à
l’aide de raquettes garnies de cordes en boyau, à moins que je ne me contente
tout simplement de rester allongé à écouter un orateur à la voix pompeuse lire
une poésie, chanter en latin les carmina priscae ou les saggwasteis
fram aldrs germaniques.
Constantia disposait aussi d’une bibliothèque publique, mais
je ne m’y rendis qu’épisodiquement, car elle n’arrivait pas à la cheville du scriptorium de Saint-Damien. Je pus toutefois y consulter quelques codices et rouleaux que
je n’avais encore jamais lus. Excepté quand je m’ennuyais vraiment trop, je
n’assistai pas souvent non plus aux messes dites à Saint-Beatus, ayant conçu
pour le prêtre Tiburce une franche antipathie depuis sa fameuse ordination
« non sollicitée », et l’audition de sa première lecture habilement
choisie pour défendre ses intérêts.
Les rues, les échoppes et les places de Constantia étaient
constamment bondées, mais je finis par reconnaître bon nombre des résidents
permanents, et les différencier des étrangers de passage et autres estivants
tels que moi. Deux personnes me donnèrent de bonnes raisons de les remarquer.
Dans les rues, les gens se comportaient en général avec une certaine désinvolture,
poussant du coude ou bousculant ceux qu’ils croisaient d’un peu trop près. En
revanche, à l’annonce de certains de leurs concitoyens, tous faisaient un
humble pas de côté et libéraient le passage, se rencognant s’il le fallait au
creux des porches. Je ne fus pas long à repérer ce singulier personnage, car il
parcourait toujours les rues dans un immense char à rideaux somptueusement
décorés à la mode liburnienne dont les perches reposaient sur les épaules
luisantes de huit esclaves courant au petit trot, qui avançaient en criant à la
cantonade : « Place ! Faites place au légat ! » et
n’hésitaient pas à foncer sur ceux qui ne s’écartaient pas assez vite. On
m’expliqua qu’il s’agissait de la voiture de Latobrigex, autrement dit le dux, comme on l’appelait en latin ou encore l’ herizogo en langue
germanique. Ce Latobrigex, m’apprit mon informateur, était le seul natif de
Constantia à être de noble lignée, ce qui lui avait valu, au moins
nominalement, en ce prospère avant-poste de l’Empire, le titre de légat de
Rome.
L’autre personne que j’en vins à identifier, parce que je le
voyais très souvent, était un jeune balourd courtaud et râblé, au visage obtus
et indolent, portant sa chevelure bas sur son front, au-dessus de sourcils
broussailleux. Il avait sensiblement le même âge que Gudinand, et aurait
aisément pu trouver à gagner sa vie en travaillant, mais il semblait n’avoir
rien d’autre à faire que d’arpenter les rues de la ville, un peu comme moi. Au
moins s’agissait-il dans mon cas d’observer, d’inspecter et d’apprendre des
choses ; or, le regard absent du jeune homme ne semblait refléter qu’un
souverain mépris pour tous les coins de la ville où je pus l’apercevoir. Je
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