Thorn le prédateur
seulement amenait un air frais jusqu’aux niveaux les plus profonds, mais
éparpillait aussi la fumée des torches, évitant au sel de s’imprégner de suie.
Partout circulaient des hommes lourdement chargés qui nous croisaient, marchant
en sens opposé, tandis que d’autres au panier vide avançaient en traînant des
pieds à nos côtés, mais plusieurs couloirs latéraux étant totalement vides, je
demandai pourquoi.
— Ils mènent à des endroits où l’on a touché la roche,
et épuisé les filons de sel, m’expliqua l’enfant. Mais je ne vais pas t’emmener
aux endroits où la mine est actuellement exploitée, car il y a toujours un
danger d’éboulement, et je ne puis exposer un invité à ce genre de danger.
— Merci, fis-je, touché.
— Pourtant, il est un endroit bien particulier que j’aimerais
te montrer. Mais il est assez éloigné. En distance comme en profondeur.
Elle fit un geste de la main, et je découvris que s’ouvrait
devant nous un autre goulet béant, les mineurs s’étant écartés pour nous
laisser avancer. Livia ne fit pas la folle, cette fois, et je m’inclinai
poliment pour qu’elle passe la première. Je la suivis donc, et trouvai cette
descente en piqué sur mon tablier assez excitante. Nous débouchâmes à nouveau
sur de longs et nombreux corridors, puis sur une nouvelle chute, d’autres
corridors, d’autres chutes et je commençai à me sentir un peu oppressé. Durant
ma jeunesse, je l’ai raconté, j’avais passé de longues heures parmi les tunnels
et les grottes de mes cascades bien-aimées du Balsan Hrinkhen, mais
ceux-ci ne m’avaient conduit qu’assez loin à l’intérieur d’une falaise, et non,
comme ici, dessous et de plus en plus profond. J’avais l’impression que nous
devions à présent nous trouver, Livia et moi, à peu près au niveau de la ville
que j’avais quittée au petit matin. Ce qui signifiait qu’une masse alpine d’une
incroyable épaisseur était en ce moment suspendue au-dessus de ma tête, et que
seuls quelques murs largement percés de couloirs l’empêchaient de s’écrouler.
Qui plus est, des murs de sel, substance fragile et friable entre toutes. Mais
les mineurs de passage ne montraient aucun signe d’inquiétude et la jeune fille
allait gaiement de l’avant, aussi ravalai-je mon inquiétude et je la suivis où
elle m’emmenait. Elle quitta tout d’un coup les couloirs fréquentés pour un corridor
désert, mais qui n’en était pas moins éclairé. Tandis que les murs s’écartaient
et que le plafond se relevait, nous parvînmes soudain à l’orée d’une caverne
très vaste, totalement vide, mais bien plus brillamment éclairée que les
goulets encombrés que nous avions arpentés. Quoique semblables aux grottes du Balsan
Hrinkhen que j’ai déjà décrites, elles les surpassaient largement, en
taille comme en splendeur, car ce qui ressemblait là-bas à des roches fondues
solidifiées était ici fait de sel : colonnes flûtées réunissant le ciel à
la terre, dentelles, draperies et cascades immobiles sur le pourtour des murs,
aiguilles, flèches et pinacles soulevés depuis le sol, longues coulées
ressemblant à de la glace descendant du plafond voûté… Tout ceci était fait d’un
bon sel à la valeur marchande indéniable, mais ces sculptures salines étaient
si merveilleuses que depuis des siècles, des millénaires peut-être qu’existait
cette mine, nul n’avait osé y toucher.
Les mineurs s’étaient donné du mal pour illuminer cette
cathédrale de sel. Ce travail avait dû être bien plus difficile que celui de la
mine, afin de fixer les torches un peu partout, en haut des arcades naturelles
et jusqu’au sommet de la voûte proprement dite, comme ils l’avaient fait. La
lumière qui y régnait désormais, diffusée à travers les formes translucides
prises par le sel, puis réfléchie à l’infini sous le dôme élancé de la caverne,
qui faisait songer à une manifestation solide de l’écho, me donna l’impression
de me trouver non plus à l’intérieur d’une jacinthe, mais au cœur d’une flamme.
Avec la fierté du propriétaire, Livia me dit :
— Tout cela est l’œuvre de la nature, mais des mineurs
y ont rajouté quelques traces de leur art. Nul ne sait quand.
Elle me conduisit vers l’un des côtés de la caverne, et me
montra ce qui s’y trouvait. Là, dans un mur que la nature avait négligé de
décorer, les mineurs avaient sculpté une chapelle
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